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soleil est levé, il brille de tous ses feux, et, pourtant, la personne dont nous parlons se trouve comme plongée dans les ténèbres, parce qu’étant assoupie, elle ne remarque en aucune manière la splendeur du jour qui l’environne. Ainsi, le Sauveur est à côté de certains chrétiens : la vérité leur est annoncée, mais leur âme est encore ensevelie dans le sommeil. Si vous êtes vous-mêmes éveillés, vous leur direz donc sans cesse : « Toi, qui dors, lève-toi et sors d’entre les morts, et le Christ t’éclairera ». Par toute votre vie, par votre conduite, vous devez prouver aux autres que vous veillez dans le Christ ; les païens, qui dorment, s’en apercevront : ils se réveilleront au bruit de vos veilles, ils sortiront de leur assoupissement, et commenceront à dire avec vous en Jésus-Christ « O Dieu, ô mon Dieu, je veille et m’élève a vers vous dès le point du jour ».
5. « Mon âme a soif de vous ». Voilà ce que produit le séjour du désert d’Idumée. Voyez de quelle soif le Prophète est tourmenté voyez ce qu’il y a de bien dans cette soif. « Mon âme a soif de vous ». Il en est qui ont soif, mais ce n’est pas de Dieu qu’ils sont altérés. Quiconque souhaite vivement posséder un objet, est brûlé par l’ardeur de ses désirs, qui sont, à vrai dire, la soif de son âme. Et remarquez, je vous prie, combien de désirs se partagent le cœur humain. L’un voudrait de l’or, l’autre de l’argent, celui-ci des propriétés, celui-là des héritages ou des richesses considérables, ou de nombreux troupeaux, ou bien encore, une maison spacieuse, des honneurs, une Épouse, des enfants : vous le voyez, les désirs qui remplissent le cœur de l’homme, sont innombrables : il en est desséché et consumé ; aussi, qu’il est petit le nombre de ceux qui savent dire à Dieu « Seigneur, mon âme a soif de vous ! » à peine en trouverait-on pour tenir ce langage, car les hommes ont soif de ce monde, ils ne comprennent point qu’ils se trouvent au désert d’Idumée et que leur âme devrait y avoir soif de Dieu. « Mon âme a soit de vous » : tel doit être notre langage ; oui, nous devons tous répéter ces paroles, parce qu’en Jésus-Christ nous ne devons faire qu’un cœur et qu’une âme : puisse notre âme être altérée de Dieu dans le désert d’Idumée !
6. « Seigneur », dit le Prophète, « mon âme a soif de vous : mon corps lui-même sèche du désir de vous voir ». C’est trop peu que mon âme soit altérée : il faut que mon corps éprouve aussi le même tourment. Mais comment, en quel sens peut-il partager les tortures de mon cœur, puisque à un corps altéré il faut de l’eau pour se rafraîchir, et que le cœur ne peut étancher sa soif qu’à la source de la sagesse ? C’est à cette fontaine sacrée que nos âmes seront désaltérées, selon cette autre parole du Psalmiste : « Ils seront enivrés des biens de votre maison, et vous les rassasierez du torrent de vos délices[1] ». Nous devons donc avoir soif de la sagesse et de la justice, et nous n’en serons pleinement rassasiés qu’à la fin de notre vie, au moment où Dieu nous mettra en possession des biens qu’il nous a promis. Le Seigneur nous a promis de nous élever au même rang que les anges[2] : ils ne souffrent pas, comme nous, de la faim et de la soif, car ils se nourrissent d’un aliment immortel : la vérité, la lumière, la justice fait leur nourriture. C’est pourquoi, rien ne manque à leur bonheur : du sein de cette inénarrable félicité, du haut de cette Jérusalem céleste qu’ils habitent, et dont nous sommes encore exilés, ils portent sur nous leurs regards, ils nous plaignent de ce que nous sommes ainsi éloignés du séjour du bonheur : par l’ordre de Dieu, ils viennent ànotre aide pour nous faire parvenir plus sûrement un jour à cette éternelle patrie qui doit nous réunir les uns aux autres, et où nous puiserons dans le Seigneur, comme en une source féconde, la vérité et l’éternité qui doivent mettre le comble à nos désirs. « Mon corps lui-même », dit le Prophète, « sèche du désir de vous voir », parce que, Dieu l’a dit, notre chair ressuscitera d’entre les morts. À notre âme donc est promise la béatitude céleste ; à notre corps, la résurrection. Oui, nous ressusciterons dans notre chair : le Seigneur nous en fait la promesse formelle. Écoutez-le donc bien ; apprenez-le, et ne l’oubliez pas : voilà le sujet de notre espérance : voilà pourquoi nous sommes chrétiens. Car nous n’avons pas embrassé la foi pour acquérir un bonheur terrestre, qui devient souvent l’apanage des voleurs et des scélérats : nous sommes chrétiens, et, comme tels, nous avons le droit et le devoir de prétendre à un bonheur bien différent : nous entrerons en possession de ce bonheur quand se seront entièrement

  1. Ps. 35,9
  2. Lc. 20,36