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DISCOURS SUR LE PSAUME 84

SERMON AU PEUPLE.

LA VRAIE PIÉTÉ.

Dieu nous guérit par sa miséricorde, il nous ouvre les yeux afin de se montrer à nous, lui qui est la lumière. Le psaume est pour les fils de Coré ou du Calvaire, il prédit l’avenir avec des termes du passé, parce que le Prophète voit sa prophétie accomplie en Dieu. Bénir la terre, en détourner l’esclavage, c’est nous délivrer du péché, comme il délivrait jadis Israël du joug que ses ennemis appesantissaient sur lui en punition de ses infidélités. Or, nous sommes par la foi enfants d’Israël en d’Abraham. Dieu donc nous délivre du joug de Satan par la rémission du péché. Sa colère ne sera donc pas éternelle, puisqu’il nous renouvellera cl nous donnera l’immortalité. Ainsi mettons notre joie en Dieu, et alors seulement elle sera durable, et par un effet de sa divine miséricorde nous comprendrons que tout bien vient de Dieu, et nul ne troublera nos délices. Quand nous jouiront de l’adoption, alors sous goûterons ces délices que nous n’avons aujourd’hui qu’en espérance ; nous verrons Dieu face à face et dans cette beauté dont rien ne peut ici-bas nous donner une image. Nous aurons alors la paix qui est impossible en cette vie, puisqu’il nous faut lutter contre nos passions, et contre nos besoins. Et puis ce qui nous récrée ne peut se prolonger sans nous nuir, et même sans nous tuer, tandis que Dieu nous donnera une paix parfaite. Aimons-le donc alu de nous rapprocher de lui. La vérité chez les Juifs, la miséricorde chez les Gentils se sont rencontrées dans le peuple chrétien, de même que la justice et la paix. Si nous voulons la seconde, pratiquons la première, et la paix viendra l’embrasser. La vérité qui naît de la terre, c’est le Christ né d’une femme, afin de nous racheter par sa mort ; ou bien encore la confession des péchés, et alors la justice a regardé cette vérité dans le publicain. Ainsi le Seigneur nous fera goûter les douceurs de la piété, et dans les actes de justice une douceur bien supérieure à celle du péché. Faisons marcher devant nous la justice ou l’aveu, et Dieu viendra en nous.

1. Nous venons de prier le Seigneur notre Dieu, de nous montrer sa miséricorde, et de nous donner son Sauveur. Ces paroles étaient une prophétie quand le psaume fut composé et chanté ; mais aujourd’hui déjà le Seigneur a manifesté sa miséricorde aux Gentils, et leur a donné le salut. Il l’a manifestée sans doute, mais un grand nombré ne veulent pas être guéris, ni voir ce qu’il leur a montré. Or, comme c’est lui qui guérit les yeux du cœur, afin que nous puissions le voir, le Prophète, après avoir dit : « Montrez-nous votre miséricorde », ajoute : « Et donnez-nous votre Sauveur », comme s’il prévoyait que beaucoup d’aveugles diraient : Comment pourrons-nous voir ce qui commence à poindre ? Nous donner le salut, c’est en effet nous guérir, afin que nous puissions voir ce qu’il nous a montré : Dieu n’agit point comme le médecin qui guérit pour montrer cette lumière à ceux qu’il a guéris : autre est la lumière qu’il fera voir, et autre le médecin qui guérit pour montrer la lumière, sans être cette lumière lui-même. Il n’en est pas ainsi de notre Dieu ; il est le médecin qui nous guérit, afin de nous montrer la lumière, et cette lumière que nous pourrons voir, c’est lui-même. Parcourons maintenant le psaume, autant que nous le pouvons, autant que Dieu nous le permettra dans sa grâce, et aussi brièvement que l’exige le peu de temps qui nous est donné.
2. Il a pour titre : « Pour la fin, aux enfants de Coré, Psaume[1] ». N’entendons par cette fin que celle dont l’Apôtre a dit : « Le Christ est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront[2] ». Ainsi donner au psaume ce titre : « Pour la fin », c’était de la part du Prophète élever nos cœurs à Jésus-Christ. Nous ne pouvons errer en fixant les yeux sur lui, il est la vérité où nous nous hâtons d’arriver, et la voie par laquelle nous y courons[3]. Qu’est-ce à dire : « Aux fils de Coré ? » Ce nom de Coré, en hébreu, se traduit par chauve ; donc « aux fils de Coré », signifie aux fils du chauve. Quel est ce chauve ? non plus pour le tourner en dérision, mais pour pleurer à ses pieds. D’autres se sont moqués de lui, et sont devenus la proie du démon : ainsi qu’il est dit au Livre des Rois à propos d’Elisée, que des enfants insultèrent en criant derrière lui : « Chauve, chauve », et voilà que deux ours sortirent des forêts, dévorèrent ces insolents[4], et plongèrent leurs pères dans le deuil. Cet événement était une prophétie qui marquait

  1. Ps. 84,1
  2. Rom. 10,4
  3. Jn. 14,6
  4. 2 R. 2,23-24