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la prophétie de ce psaume : « O Dieu, les nations sont entrées dans votre héritage », et croire que les païens sont entrés dans l’Église, non par la foi, mais par la persécution, c’est-à-dire qu’ils l’ont envahie dans le dessein de la détruire et de la ruiner entièrement, comme le prouvent tant de cruautés inouïes, alors cette parole : « Ils ont profané votre saint temple », se doit appliquer, non plus aux bois et aux pierres, mais aux chrétiens eux-mêmes, dont saint Pierre a dit qu’ils sont les pierres vivantes formant la maison de Dieu[1]. D’où saint Paul a dit clairement : « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple[2] ». Voilà le temple que les persécuteurs ont profané, dans ces chrétiens qu’ils ont forcés à renier le Christ par les menaces et les tortures, et que leurs violences ont fait retourner au culte des idoles : toutefois plusieurs se sont relevés par la pénitence, et purifiés de cette souillure. C’est une âme pénitente qui a dit : « Purifiez-moi de mes péchés » ; et : « Créez en moi un cœur nouveau, et renouvelez dans mes entrailles un esprit de droiture[3] ». Le Prophète continue : « Ils ont fait de Jérusalem une hutte pour garder les fruits » : l’Église peut très bien être appelée ainsi : « La Jérusalem libre est notre mère, dont il est écrit : Réjouis-toi, stérile, qui n’enfantes pas, pousse des cris de joie, élève la voix, toi qui n’es pas mère : l’Épouse délaissée a plus d’enfants que celle qui a un Époux[4] ». Cette expression, « une hutte à garder les fruits », signifie, selon moi, le désert qu’a tait la fureur de la persécution : comme une hutte à garder les fruits, car on abandonne ces huttes aussitôt que les fruits sont cueillis. Et certes, quand les Gentils eurent persécuté l’Église, elle parut un désert, les âmes des martyrs avaient passé au banquet céleste, comme des fruits nombreux et d’une admirable beauté cueillis dans le jardin du Seigneur.
5. « Ils ont donné pour pâture, aux oiseaux du ciel, les cadavres de vos serviteurs, et la chair de vos saints aux bêtes de la terre[5] », Le mot de « cadavre » est répété dans « la chair », et « vos serviteurs » dans « vos saints ». Il n’y a de différence qu’entre « les oiseaux du ciel » et u les bêtes de la « terre ». Traduire « cadavre » est beaucoup mieux que traduire « dépouille mortelle », comme l’ont fait quelques-uns. Cadavre ne se dit que des morts, et dépouille mortelle se dit même d’un corps vivant. Lors donc que les martyrs, comme je l’ai dit, retournèrent comme d’excellents fruits à Dieu qui les cultivait, leurs cadavres et leurs chairs devinrent la proie des oiseaux du ciel et des bêtes de la terre ; comme s’ils eussent pu perdre quelque chose pour la résurrection, alors que Dieu, qui a compté les cheveux de notre tête[6], saura tirer des secrètes entrailles de la nature de quoi nous restaurer.
6. « Ils ont répandu le sang comme l’eau », c’est-à-dire avec abondance et avec mépris : « autour de Jérusalem[7] ». Si par Jérusalem nous entendons la ville de la terre, ce sang répandu autour de ses murs est celui de ses enfants que l’ennemi a pu rencontrer en dehors de ses murailles. Mais si nous comprenons cette Jérusalem dont il est dit : « Plus nombreux sont les fils de l’Épouse abandonnée, que les fils de celle qui a un Époux[8] », son enceinte est l’univers entier. Car dans ce même endroit où le Prophète s’écrie : « L’Épouse abandonnée est plus féconde que celle qui a un Époux » ; il continue à dire peu après : « Et le Dieu d’Israël qui t’a délivrée sera appelé le Dieu de la terre entière[9] ». En ce cas, l’enceinte de Jérusalem, dans notre psaume, comprendrait les lieux où l’Église était répandue, alors qu’elle croissait et portait des fruits dans le monde entier, et que la persécution, sévissant partout, fit un grand carnage des martyrs, répandant leur sang comme l’eau, et les enrichissant des trésors du ciel. Quant à cette parole : « Nul n’était là pour les ensevelir » ; il n’est pas étonnant que, dans certaines contrées, la terreur ait été si grande, que nul n’ait osé donner la sépulture aux corps des saints ; ou que plusieurs martyrs soient demeurés longtemps sans sépulture, jusqu’à ce que des mains pieuses leur eussent rendu ce devoir.
7. « Nous avons été en opprobre à nos voisins[10] ». Aussi n’est-ce point en présence des hommes, mais en présence de Dieu que la mort de ses saints est précieuse[11]. « Nous sommes la fable et le jouet », ou comme d’autres ont traduit : « La dérision de ceux qui nous environnent ». C’est une répétition

  1. 1 Pi. 2,5
  2. 1 Cor. 3,17
  3. Ps. 50,4-12
  4. Gal. 4,26 ; Isa. 54,1
  5. Ps. 78,2
  6. Mt. 10,30
  7. Ps. 78,3
  8. Isa. 54,1
  9. Id. 5
  10. Ps. 78,4
  11. Id. 115,15