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la source elle-même se tarirait ? « Dieu oubliera-t-il de nous prendre en pitié ? et sa colère va-t-elle arrêter sa compassion ? » On sera-t-il en colère, de manière à n’avoir plus de pitié ? Il lui est plus facile de s’arrêter dans sa colère que dans sa bonté. C’est ce qu’il avait dit encore par Isaïe : « Ma vengeance contre vous ne sera point éternelle, ni ma colère sans fin ». Et après avoir dit : « Il s’en est allé triste, et a marché dans ses voies ». « Ces voies », dit-il, « je les ai vues, et je l’ai guéri[1] ». Voilà ce qu’a reconnu le Prophète, et il s’est élevé au-dessus de lui-même, pour mettre sa joie en Dieu et s’épanouir là où il est, ainsi que dans ses œuvres, non pas dans son esprit, non point dans ce qu’il a été, mais dans celui qui est son Créateur. C’est de là qu’il s’est élancé pour s’élever. Voyez-le s’élancer, voyez s’il s’arrête quelque part, jusqu’à ce qu’il arrive à Dieu.
12. « Et j’ai dit ». Déjà élevé au-dessus de lui-même, que dit-il ? « Maintenant je commence » : je me surpasse moi-même. « Maintenant je commence ». Nul péril ici désormais ; car il était dangereux pour moi de demeurer en moi-même. « Et j’ai dit : Maintenant, je commence, c’est là un changement qui est l’œuvre de la droite du Très-Haut[2] ». C’est le Très-Haut qui a commencé à me changer ; c’est là un commencement qui me donne la sécurité, c’est maintenant que j’entre dans ces régions du bonheur où nul ennemi n’est à craindre, maintenant que j’habite ces contrées où tous mes ennemis ne devanceront point mes veilles. « Je commence aujourd’hui ; ce changement est l’œuvre de la droite du Très-Haut ».
13. « Je me suis souvenu des œuvres de Dieu ». Voyez-le se donnant de l’espace dans les œuvres de Dieu. Il babillait au-dehors, et dans son affliction son esprit s’en est allé : il a babillé dans le secret de son cœur, avec son esprit ; et en sondant ce même esprit, il s’est souvenu des années éternelles, souvenu de la miséricorde de Dieu, car le Seigneur ne doit point nous rejeter éternellement : et le voilà qui se réjouit en sûreté dans ses œuvres, qui tressaille sans crainte. Écoutons ces œuvres nous aussi, et prenons part à sa joie ; mais élevons cette joie au-dessus de nous-mêmes, et ne l’abaissons pas au niveau du temps. Car nous aussi, nous avons notre lit secret. Pourquoi n’y pas entrer ? pourquoi n’y point travailler dans le silence ? pourquoi n’y point sonder notre esprit ? pourquoi n’y point méditer les années éternelles ? pourquoi ne pas nous réjouir dans les œuvres de Dieu ? Écoutons-le maintenant ; que sa parole fasse tellement nos délices, que même, sortis d’ici, nous fassions encore ce que nous faisions pendant qu’il parlait ; si toutefois nous avons commencé comme le Prophète l’a dit : « Maintenant, c’en est fait ». Te réjouir des œuvres de Dieu, c’est t’oublier toi-même, si tu peux mettre en lui seul tes délices. Où trouver mieux que lui ? Ne vois-tu pas que rentrer en toi-même, c’est trouver bien moins ? « Je me suis souvenu des œuvres de Dieu : parce que je me souviendrai, Seigneur, de toutes vos œuvres depuis le commencement[3] ».
14. « Et je méditerai sur vos œuvres, et je m’entretiendrai de vos charmes[4] ». Voilà un troisième entretien. Entretien au-dehors, quand ton esprit a défailli ; entretien intérieur et dans le secret du cœur, quand il s’est avancé ; entretien sur les œuvres de Dieu, quand il est arrivé au but qu’il poursuivait. « Je gloserai sur vos charmes », non point sur les miens. Quel est l’homme qui vit sans charmes ? Et pourriez-vous croire, mes frères, qu’il n’y ait point de charmes pour l’homme qui craint Dieu, qui sert Dieu, qui aime Dieu ? Pouvez-vous le croire et penser qu’il n’y ait rien d’attrayant dans les œuvres de Dieu, quand vous trouvez de l’attrait dans un tableau, dans le théâtre, dans la chasse aux bêtes fauves ou aux oiseaux, dans la pêche ? N’y aurait-il aucun attrait à méditer les œuvres de Dieu, à contempler le monde, à ramener sous nos yeux le spectacle de la nature, alors que l’on en recherche l’auteur, et qu’on ne le trouve jamais en désaccord, mais dans une harmonie incomparable ?
15. « Votre voie, ô Dieu, est dans la sainteté[5] ». Il envisage autour de nous les œuvres de la miséricorde suprême, il en glose, il s’épanouit dans leurs charmes. Tel est son point de départ. « Votre voie est dans la sainteté ». Quelle est cette voie dans la sainteté ? « Je suis », dit le Seigneur, « la voie, la vérité et la vie[6] ». Revenez donc, ô hommes, revenez de vos passions. Où allez-vous ? Où courez-vous ? Pourquoi fuir ainsi, non seulement

  1. Isa. 57,18
  2. Ps. 76,11
  3. Ps. 77,12
  4. Id. 13
  5. Id. 14
  6. Jn. 14,16