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du cœur est un vrai sommeil. Voyez, mes frères, je vous en supplie, combien il en est qui sont endormis profondément ; dans l’univers entier on prêche l’Évangile, on chante partout, Amen et Alléluia, et ils ne veulent point condamner la vie du vieil homme, pour s’éveiller à une vie nouvelle, Jadis l’Écriture sainte n’était qu’en Judée, aujourd’hui elle est récitée dans tout l’univers. Il n’y avait qu’une nation où l’on prêchât le culte d’un seul Dieu, où le Créateur de toutes choses fût adoré ; et maintenant où n’est-il point publié ? Le Christ est ressuscité ; bafoué sur la croix, il a mis sur le front des empereurs cette même croix, instrument de ses épreuves ; et l’on sommeille encore ! Effrayante colère du Seigneur, mes frères ! Combien il est mieux pour nous d’écouter celui qui dit : « Debout, ô toi qui dors, lève-toi d’entre les morts, et le Christ sera ta lumière[1] ». Mais qui écoutera sa parole ? Ceux qui ne montent point à cheval. Qui ne se grandit point sur des chevaux ? Ceux qui ne s’élèvent pas, qui ne se font pas de leurs honneurs et de leur puissance, un certain piédestal. « Au bruit de vos menaces, ô Dieu de Jacob, les cavaliers se sont assoupis ».
11. « Vous êtes terrible, et qui pourra vous résister dans votre colère[2] ? » Aujourd’hui qu’ils dorment leur sommeil, ils ne comprennent point votre colère, mais l’effet de cette colère est leur sommeil même. Un jour ils verront pour l’éternité ce qu’ils ne voient point aujourd’hui dans leur assoupissement ; quand apparaîtra le Juge des vivants et des morts, alors « qui pourra vous résister dans votre colère ? » ils discourent maintenant à leur gré, ils disputent contre Dieu, et osent dire : Quels sont les chrétiens ? ou, qui est le Christ ? ou bien : Quelle ineptie de croire ce que l’on ne voit pas, et de renoncer aux plaisirs que l’on voit de ses yeux, pour s’opiniâtrer à croire ce que les yeux ne voient point ? Insensés, vous rêvez, vous aboyez, vous vous élevez contre Dieu de toute la force de vos blasphèmes. Jusques à quand, ô mon Dieu, jusques à quand les pécheurs pourront-ils se glorifier ? Jusques à quand se répandront-ils en vains discours[3] ? Mais quand cessera-t-on de répondre et de questionner, sinon quand on rentrera en soi-même ? Quand est-ce qu’ils tourneront contre eux-mêmes ces dents acérées dont ils nous déchirent maintenant, en raillant les chrétiens, en jetant le ridicule sur la vie des saints ? Ils ne se tourneront contre eux-mêmes, que quand s’accomplira l’oracle de la sagesse : « Ils diront alors en eux-mêmes, se repentant et gémissant dans l’angoisse de leur esprit[4] » ; ils diront en voyant la gloire des saints : « Les voilà, ces hommes que nous avions en mépris ». O vous, qui dormez depuis si longtemps ! vous sortez de votre sommeil, et vous vous trouvez les mains vides. Vous les voyez, au contraire, ayant la gloire de Dieu à pleines mains, ces pauvres que vous tourniez en dérision. Dites alors, alors que vous ne pouvez résister à la colère de Dieu, ni de la main, ni de la langue, ni des paroles, ni de la pensée ; dites, quand vous verrez à découvert Celui que vous avez tourné en dérision lorsqu’on vous annonçait son avènement ; mais que diront-ils ? « Nous avons donc erré loin de la voie de la vérité, et la lumière de la justice n’a pas lui à nos yeux, et le soleil ne s’est point levé pour nous ». Comment le soleil de la justice se lèverait-il pour des hommes endormis ? Mais ce sommeil est un effet de la colère et des menaces de Dieu. Peut-être me dira-t-on : Mais si je ne montais pas à cheval ; et alors ils s’accuseront d’être montés sur des chevaux. Écoutez-les s’en prendre à ces chevaux sur lesquels ils ont dormi : « Nous avons donc erré loin de la vérité, et la lumière de la vérité n’a point lui à nos yeux, le soleil ne s’est point levé pour nous. Que nous a servi notre orgueil ? que nous a procuré l’ostentation de nos richesses ? Tout a passé comme une ombre ». Te voilà donc enfin réveillé. Mais il eût mieux valu pour toi ne pas monter à cheval, et ne point t’assoupir alors que tu devais être éveillé, pour entendre la voix du Christ, qui eût été la lumière. « Vous êtes terrible, Seigneur, et qui peut vous résister dans votre colère ? » Qu’arrivera-t-il alors ?
12. « Du haut du ciel vous avez lancé vos jugements, la terre s’en est émue, elle est demeurée dans le silence[5] ». Elle qui se trouble, elle qui ose maintenant parler, sera dans le silence et dans le repos. Mieux vaudrait pour elle le repos aujourd’hui et la joie au dernier jour.

  1. Eph. 5,14
  2. Ps. 75,8
  3. Id. 93,3
  4. Sag. 5,3-6.8-9
  5. Ps. 75,9