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que nous parlons ainsi : « Dieu, notre roi avant les siècles, a opéré le salut au milieu de la terre » : et nous demeurons endormis. Déjà les nations s’éveillent, et nous dormons profondément, et comme si Dieu nous avait abandonnés, nous nous repaissons de rêveries. « Il a opéré le salut au milieu de la « terre ».
15. Corrige-toi donc, ô Asaph, afin de comprendre, et dis-nous quel est ce salut que Dieu a opéré au milieu de la terre. Voilà que pour vous est détruit le salut du temps : qu’a fait le Seigneur ? Où sont ses promesses ? « Dans votre puissance vous avez affermi la mer ». Le peuple juif était comme une terre sèche, et les Gentils, comme une mer d’amertume, l’environnaient de toutes parts « Vous avez affermi la mer dans votre puissance », elle est devenue comme une terre sèche, altérée des eaux du ciel. « Dans votre puissance, vous avez affermi la mer, et brisé sous les flots les têtes des dragons[1] ». Ces têtes des dragons, sont la puissance orgueilleuse de Satan, qui dominait sur les nations, et que vous avez brisée dans les eaux, Seigneur, en délivrant par le baptême ces malheureux esclaves.
16. Qu’a fait le Seigneur, après avoir brisé les têtes des dragons ? Ils ont en effet un prince, qui est le premier et le grand dragon. Et qu’en a fait Celui qui a opéré le salut au milieu de la terre ? Écoutez : « Vous avez u écrasé la tête du dragon[2] ». De quel dragon ? Par les dragons nous avons entendu tous les démons qui sont aux ordres du diable. Que faut-il entendre par cet autre dragon dont le psaume parle au singulier, et dont le Seigneur a brisé la tête, sinon le diable lui-même ? Qu’en a fait le Seigneur ? « Vous avez écrasé la tête du dragon » ; tête qui est la source du péché, tête qui fut maudite, pour inviter la race d’Eve à prendre garde à cette tête du serpent[3]. Dieu donc avertit l’Église de fuir le commencement du péché. Quel est ce commencement du péché, ou la tête du dragon ? « Le commencement de tout péché, c’est l’orgueil[4] ». Donc, briser la tête du dragon, c’était briser l’orgueil du diable. Mais qu’a fait de cette tête brisée, Celui qui a opéré le salut au milieu de la terre ? « Vous l’avez donnée en pâture aux peuples de l’Ethiopie ». Qu’est-ce à dire ? Que devons-nous entendre par les peuples de l’Ethiopie, sinon toutes les nations de la terre ? Voilà ce que désigne la couleur de l’Ethiopien, qui est noir. Ceux qui étaient noircis par le péché, sont appelés à la foi, ces peuples dont il est dit : « Vous étiez autrefois ténèbres, aujourd’hui vous êtes lumière dans le Seigneur[5] ». Ils sont donc noirs, quand Dieu les appelle, mais afin qu’ils ne demeurent point noirs. C’est d’eux qu’est formée l’Église, à qui l’on chante : « Quelle est celle-ci qui s’élève dans sa blancheur[6][7] ? » Et sa noirceur ne lui fait-elle pas dire : « Je suis noire, mais je suis belle[8] » Mais comment l’Ethiopien s’est-il nourri du dragon ? Ne s’est-il pas nourri plutôt de Jésus-Christ ? Mais de Jésus-Christ pour se consommer en lui, du dragon pour le consumer en eux. Nous avons en effet à ce sujet la figure d’un grand mystère ; cette figure, c’est le veau d’or qu’adora un peuple infidèle et apostat, qui recherchait les dieux de l’Égypte et répudiait celui qui l’avait délivré de l’esclavage des Égyptiens. Moïse, en effet, dans sa colère à la vue de ce peuple qui se prosternait devant une idole, et enflammé du zèle de Dieu, voulut infliger à ces idolâtres un châtiment temporel, qui leur fit éviter une mort sans fin. Il jeta dans le feu la tête du veau, la brisa, la réduisit en poudre, et la jeta dans l’eau pour la faire boire au peuple[9]. C’était là un grand symbole. O colère vraiment prophétique dans une âme toujours tranquille, éclairée d’en haut ! Que fait Moïse ? Jetez, lui fut-il dit, cette tête au feu, pour la rendre méconnaissable, faites-en une poudre, afin de la réduire peu à peu ; jetez cette poudre dans l’eau, et faites-la boire au peuple. Que nous dit cette figure, sinon que les adorateurs du diable ne sont qu’un même corps avec lui ? De même ceux qui connaissent le Christ, sont incorporés au Christ, selon cette parole de saint Paul : « Vous êtes le corps et les membres du Christ[10] ». Or, il fallait consumer le corps du diable, et le consumer par les Israélites. C’est de ce peuple en effet que viennent les Apôtres, de lui que vient l’Église, Mais il fut dit à Pierre, à propos des Gentils : « Tue, et mange[11] ». Qu’est-ce à dire : « Tue et mange ? » Tue ce qu’ils sont, et fais-les ce que tu es. Ici, « tue et mange » ; là, brise et bois : ici et là, c’est néanmoins la même

  1. Ps. 73,13
  2. Ps. 73,14
  3. Gen. 3,15
  4. Sir. 10,15
  5. Eph. 5,8
  6. Cant. 8,5
  7. selon les LXX
  8. Id. 1,4
  9. Exod. 32,1-20
  10. 1 Cor. 12,27
  11. Act. 10,13