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faire ; si l’on te jette l’opprobre à la face, cl que tu n’aies aucun moyen de ramener au bien celui qui t’insulte, il ne te reste qu’à prier. Mais souviens-toi de prier aussi pour lui. « Pour moi, je vous adresse ma prière, ô mon Dieu. Au temps où il vous plaira, Seigneur ». Voilà le grain de froment qui est enfoui, il en sortira un fruit. « Au temps où il vous plaira, Seigneur ». Les Prophètes ont fait mention de ce temps, dont l’Apôtre a dit : « Voici maintenant le temps favorable, voici maintenant le jour du salut[1]. Au temps où il vous plaira, dans votre infinie miséricorde ». Le temps où il plaît à Dieu est « dans sa miséricorde infinie ». Si cette miséricorde n’était infinie, que ferions-nous dans l’infinité de nos fautes ? « Dans votre miséricorde infinie, exaucez-moi dans la vérité de votre salut ». Il dit votre vérité, comme il a dit, « votre miséricorde » ; car toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité[2]. Comment miséricorde ? En pardonnant les péchés. Comment vérité ? En acquittant ses promesses. « Exaucez-moi dans la vérité de votre salut ».
18. « Retirez-moi de la fange, afin que je n’y demeure point[3] ». C’est de cette fange qu’il a dit plus haut : « Je suis fixé dans le limon de l’abîme, et ce n’est point une substance ». Après avoir écouté l’explication de ce premier passage, il ne vous reste rien de plus â comprendre ici. Le Christ veut donc être tiré du bourbier où plus haut il se dit enfoncé. « Tirez-moi de cette fange, afin que je n’y demeure point[4]. Et il explique lui-même : « Que je sois délivré de ceux qui me haïssent ». Ils sont donc le limon qui me submergeait. Mais voici peut-être une réflexion qui nous est suggérée. Tout à l’heure il disait : « J’ai été fixé », maintenant il dit : « Tirez-moi de cette fange, afin que je n’y demeure point » ; tandis que, selon le premier sens, il devrait dire : Sauvez-moi, en me tirant de cette fange qui m’arrêtait, et non en m’empêchant de m’y arrêter. Il y était donc resté d’une manière corporelle, et non selon l’esprit. Il parle ainsi en se conformant à l’infirmité de ses membres. Lorsque tu es saisi par celui qui te pousse au péché, ton corps est tenu en réalité, tu es alors enfoncé dans le limon de l’abîme, d’une manière corporelle ; mais tant que tu n’y as pas consenti, tu n’y demeures point ; tu y demeures au contraire, si tu y consens. C’est donc à toi de prier, afin que ton âme ne soit point retenue comme ton corps, et que tu sois libre dans les chaînes. « Délivrez-moi de ceux qui me haïssent, délivrez-moi du sein de l’abîme ».
19. « Que le tourbillon des eaux ne me submerge point[5] ». Mais déjà il était submergé. C’est vous qui avez dit : « Je suis jeté en pleine mer » ; et encore : « La tempête m’a submergé ». La tempête a submergé son corps, mais qu’elle ne submerge pas mon esprit, Quand il est dit : « Si l’on vous poursuit dans une cité, fuyez dans une autre[6] » ; cela signifie que ceux-là ne devaient y demeurer ni selon le corps, ni selon l’esprit. Il n’est pas à désirer pour nous d’y être embarrassé, même d’une manière corporelle ; et nous devons l’éviter autant que possible. Quelque peu que nous y demeurions, nous sommes alors tombés entre les mains des méchants, notre corps y est embarrassé, et dès lors nous sommes fixés dans le limon de l’abîme ; il nous reste à prier pour notre âme, afin qu’elle n’y demeure pointa c’est-à-dire que nous n’y consentions point, et que les vagues ne nous submergent point, de manière à nous plonger dans les profondeurs de la vase. « Que le gouffre ne m’engloutisse point, que le puits de l’abîme ne se referme point sur moi ». Qu’est-ce à dire, mes frères ? Que demande le Prophète ? Il est profond, l’abîme de l’iniquité humaine ; quiconque s’y laisse tomber, tombe dans un gouffre insondable. Mais si de ces profondeurs il confesse à Dieu ses péchés, le puits ne se refermera point sur lui ; c’est ce qu’exprime ainsi un autre psaume : « Du fond de l’abîme, j’ai crié vers vous, Seigneur ; Seigneur, écoutez ma voix[7] ». Mais s’il lui arrive ce qui est dit dans une autre sentence des Écritures : « Quand l’impie est descendu dans les profondeurs du mal, il méprise[8] » ; alors le puits se referme sur lui. Pourquoi se ferme-t-il ? Parce que lui-même a fermé la bouche. Voilà ce pécheur qui ne fait point d’aveu ; il est vraiment mort, et alors s’accomplit en lui ce qui est dit ailleurs : « Un mort ne confesse pas plus le Seigneur que s’il n’était pas[9] ». Voilà, mes frères, ce que nous devons craindre par-dessus tout. Si tu vois un homme tombé

  1. 2 Cor. 6,2
  2. Ps. 24,10
  3. Id. 68,15
  4. Id. 3
  5. Ps. 60,8-16
  6. Mt. 10,23
  7. Ps. 129,1-2
  8. Prov. 18,3
  9. Sir. 17,26