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sous tes yeux, si tu les soumets, si tu occupes leur pays ; sois attentif sur toi-même, ne cherche pas à les imiter, après qu’ils auront été exterminés de devant ta face ; ne recherche pas leurs dieux, disant : Comme les nations se conduisent envers leurs dieux, je me conduirai moi-même ; tu ne feras pas ainsi envers le Seigneur ton Dieu. Car les abominations que le Seigneur hait, ils les ont faites pour leurs dieux, ils brûlent dans le feu leurs fils et leurs filles, en l’honneur de leurs dieux [1]. »
3. Peut-on démontrer plus évidemment qu’on le fait par ces témoignages de la Sainte Écriture sans parler des autres du même genre, que Dieu, dont le genre humain a reçu le don de l’Écriture, non-seulement ne se plaît pas aux sacrifices humains, mais qu’il les a en horreur ? Il aime, à la vérité, il couronne les victimes humaines, quand le juste, souffrant par les mains de l’iniquité, comtat jusqu’à la mort pour la vérité quand des ennemis qu’il a offensés pour la justice versent son sang, et qu’il leur rend le bien pour le mal, l’amour pour la haine. C’est là le sang du juste répandu, depuis le sang d’Abel jusqu’au sang de Zacharie, dont parle Notre-Seigneur[2]. Ce que Dieu agrée surtout, c’est le sang que Jésus à lui-même versé pour nous, le sacrifice par lequel il s’est offert lui-même à la Divinité. Il s’est offert ; mais ses ennemis le mirent à mort, pour la justice. À son exemple des milliers de martyrs ont combattu jusqu’à la mort pour la vérité, et ont été immolés parla cruauté de leurs ennemis. Parlant d’eux, l’Écriture dit « Il les a éprouvés, comme l’or dans la fournaise ; il les a agréés, comme l’hostie de l’holocauste[3]. » De là ce cri, de l’Apôtre : « Déjà je suis moi-même immolé[4]. »
4. Mais ce n’est point de cette manière que Jephté offrit sa fille en holocauste au Seigneur. Il l’offrit suivant le rite prescrit pour les sacrifices d’animaux, interdit par rapport aux hommes. Ce qui paraît ressembler davantage à cette action, c’est ce que fit Abraham d’après un commandement spécial du Seigneur[5] ; car jamais le Seigneur n’a prescrit de tels sacrifices par une loi générale, et même il les a absolument défendus. Mais entre la conduite de Jephté et celle d’Abraham il y a cette différence, que celui-ci offrit son fils, sur un ordre reçu, et que Jephté sans avoir eu de commandement spécial, fit ce qui était défendu par la Loi. Du reste, Dieu fit voir que de pareilles offrandes ne lui agréaient point, non-seulement par la Loi, dans la suite ; mais au moment même du sacrifice d’Abraham ; car après avoir mis à l’épreuve, par son commandement, la foi du père, il l’empêcha de mettre à mort son fils, et substitua un bélier, afin que le sacrifice fût accompli légitimement suivant la coutume des anciens, convenable pour cette époque.
5. Mais, puisque de telles offrandes ne peuvent être légitimement présentées au Seigneur, comment, dira-t-on ; Abraham a-t-il pu croire religieusement se rendre, par là, agréable à Dieu ? Jephté pour la même raison, n’a-t-il pas pu très-légitimement penser qu’un pareil sacrifice lui serait agréable ? Il faut considérer qu’autre chose est d’obéir à un commandement que l’on reçoit, autre chose, de s’engager spontanément par un vœu. Si le serviteur, à qui son maître à prescrit quelque chose qui s’écarte de l’ordre habituel de la maison, mérite des éloges par son obéissance, cela ne veut pas dire qu’en faisant les mêmes choses de son propre mouvement et sur une téméraire présomption, il ne serait pas digne de châtiment. Abraham du reste se croyant obligé d’immoler son fils pour obéir à l’ordre de Dieu, pouvait en même temps penser que de semblables victimes ne lui étaient pas agréables et qu’il avait commandé ce sacrifice pour ressusciter la victime, et faire éclater ainsi sa sagesse. C’est en effet ce qui est dit d’Abraham dans l’Épître aux Hébreux : sa foi est louée, parce qu’il a cru que Dieu pouvait ressusciter son fils[6]. Quant àJéphté il a de lui-même voué un sacrifice humain, sans que Dieu l’ait commandé, ni demandé, et contrairement à son légitime précepte. Il est écrit en effet : « Jephté fit un vœu au Seigneur, et dit : « Si vous livrez en mes mains les enfants d’Ammon, quiconque sortira des portes de ma maison à ma rencontre, au retour du triomphe sur les enfants d’Ammon, celui-là je l’offrirai au Seigneur en holocauste. »
6. Ce qui est voué par ces paroles, assurément ce n’est pas un des animaux qui pouvaient, suivant la Loi, être offerts en holocauste au Seigneur. L’usage n’est point et n’a jamais été que les animaux viennent au-devant des capitaines victorieux, à leur retour de la guerre.

  1. Deu. 12, 29, 31
  2. Mat. 23, 35
  3. Sag. 3, 6
  4. 2Ti. 4, 6
  5. Gen. XXII
  6. 9, 17-19.