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seul et même Jacob qui est à la fois boiteux et béni : boiteux dans toute la longueur de sa cuisse, c’est-à-dire dans la multitude de ceux de sa race dont il est dit : « Et ils ont boité en dehors de vos sentiers[1] » béni, dans ceux dont il est dit : « Par un choix de la grâce, il en reste qui sont sauvés.[2] »


CV. (Ib. 33, 10.) Sur ces paroles : J’ai vu ton visage comme quand on voit le visage d’un Dieu.
– Que signifient ces paroles de Jacob à son frère « C’est pourquoi j’ai vu ton visage comme quand on voit le visage d’un Dieu ? » Un esprit tremblant et éperdu peut-il pousser jusqu’à ce point l’adulation ? Ou peut-on en un certain sens juger ces paroles exemptes de péché ? De ce que par hasard les démons ont été appelés les dieux des nations, il ne faudrait peut-être pas porter pour cela un jugement défavorable à l’homme de Dieu. Car il ne dit pas : Comme si je voyais le visage de Dieu, mais comme quand on voit ; or, cet on ne désigne personne en particulier et peut-être ces mots sont-ils choisis dans le dessein de faire agréer à Esaü lui-même un tel honneur rendu à sa personne, et pour que ceux-mêmes qui donneraient à ces expressions une signification différente, n’accusent pas d’impiété celui qui les a prononcées. Saris doute aussi on peut voir la preuve d’un bon cœur dans les paroles adressées à un frère, car un bienveillant accueil avait fait disparaître toute crainte. Il peut se faire néanmoins que Jacob ait donné ce nom à Esaü dans le même sens que Moïse fut appelé dieu de Pharaon, et dans le même sens de ces mots de l’Apôtre : « Bien qu’il y en ait, soit dans le ciel, soit sur la terre, qui sont appelés dieux, et qu’en ce sens il y ait plusieurs dieux et plusieurs seigneurs[3]. » Il faut observer surtout que dans le grec ce terme est sans article; or l’article s’emploie évidemment lorsqu’il est question du seul vrai Dieu. Le grec ici porte en effet πρόσωπόν θεοῦ, et non πρόσωπόν σοῦ θεοῦ : la différence du sens st facilement saisie par qui entend et comprend le grec.
CVI. (Ib. 33, 14) Promesse inexécutée de Jacob.
— N’y eut-il pas un mensonge dans la promesse que fit Jacob à son frère, de suivre les pas des siens dont la marche était lente et d’aller ensuite le retrouver àSéïr ? L’Écriture dit en effet plus loin qu’il n’y alla pas, mais qu’il suivit la route qui le ramenait vers les siens. N’a-t-il pas promis avec sincérité, et après réflexion changé ensuite de sentiment ?


CVII. (Ib. 34, 2-3.) Comment l’Écriture donne le nom de Vierge à Dina, déshonorée par Sichem.
– Pourquoi l’Écriture dit-elle : « Sichem, fils d’Emmor, Evéen, prince du pays, vit Dina, fille de Jacob, il l’enleva et il dormit avec elle et l’outragea ; et il fut attaché de cœur à Dina ; fille de Jacob, et il l’aima vierge et il parla à cette vierge suivant les sentiments qu’elle éprouvait ? » Comment l’appeler vierge, si déjà il avait dormi avec elle et l’avait déshonorée ? Ne serait-ce point parce que dans l’hébreu le mot vierge désigne l’âge ; ou plutôt parce que revenant sur le passé, l’Écriture raconte après coup, ce qui avait eu lieu antérieurement ? Sichem put en effet s’attacher d’abord à Dina, l’aimer vierge, et lui parler comme il convient à une vierge et puis dormir avec elle et l’outrager.
CVIII. (Ib. 33, 5 ; 34, 25.) Comment les enfants de Jacob ont pu faire tant de mal aux Sichimites ? – Jacob s’entretenant un peu auparavant avec son frère Ésaü appelle ses fils des enfants, ce que le grec exprime par ce mot παιδία ; on peut demander comment ils ont pu faire un massacre et un ravage si considérable dans la ville, en mettant à mort, même au milieu de leurs souffrances, ceux qui s’étaient circoncis à cause de leur sœur Dina. Mais il faut observer que Jacob demeura longtemps dans ce pays et que pendant ce temps sa fille et ses fils grandirent. Il est écrit en effet : « Et Jacob vint à Salem ville des Sichimites qui est dans le pays de Chanaan, en quittant, la Mésopotamie de Syrie et il s’établit à côté de la ville et il acheta à Émmor père de Sichem, pour cent agneaux, la partie du champ où il établit sa tente, et il dressa là un autel et il invoqua le Dieu d’Israël. Or Dina, fille de Lia et de Jacob, sortit pour faire connaissance avec les filles de ce pays » etc[4]. Voici donc ce qui ressort de ces paroles : c’est que Jacob ne demeura point dans ce pays transitoirement, à la manière d’un voyageur, mais qu’il y acheta un champ, y établit une tente, y dressa un autel et par conséquent y demeura un temps considérable. Quant à sa fille, arrivée a cet âge où elle pouvait déjà se faire des amies, elle voulut faire connaissance avec les filles des habitants de la cité et alors arriva à son occasion cette scène de sang et de pillage qui, je le pense, n’a plus besoin d’explication. Car Jacob devenu extrêmement riche ne comptait pas autour de lui une suite peu nombreuse ; et si ses fils sont désignés nommément dans

  1. Psa. 17, 46
  2. Rom. 11, 6
  3. 1Co. 8, 6
  4. Gen. 33, 18-20 ; 34, 1