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pour but de faire voir à Abraham qu’il était impossible d’y trouver ce nombre, tant leur iniquité était montée au comble. Dieu n’avait pas besoin d’épargner des hommes si criminels, dans la crainte de perdre en même temps les justes, puis qu’il pouvait, après avoir sauvé ceux-ci du danger, infliger aux impies les châtiments qu’ils méritaient ; mais, comme je l’ai observé, il a voulu mettre au grand jour la malice de ce peuple ; c’est pourquoi il a dit : « Si j’en trouve dix, je pardonnerai à toute la ville. » C’est comme s’il disait : Je puis assurément ne pas perdre les justes avec les impies, sans néanmoins épargner ces derniers, parce qu’il est en mon pouvoir d’infliger aux impies les châtiments dont ils sont dignes, après avoir délivré et sauvé les justes. Cependant si ces justes se trouvent, je pardonne ; c’est donc qu’il était impossible de découvrir ce nombre. Il y a quelque chose de semblable dans Jérémie, lorsqu’il dit : « Parcourez les rues de Jérusalem et voyez, cherchez dans ses places et considérez si vous y trouverez un homme qui agisse selon la justice et qui cherche la vérité, et je serai miséricordieux pour leurs péchés[1] » c’est-à-dire, trouvez-en un seul, et je pardonne aux autres ; c’est pour mieux faire sentir qu’on ne pouvait découvrir même un seul homme de bien.

XLI. (Ib. 19, 1.) Sur l’apparition des anges à Loth. — Lorsque Loth va au-devant des anges et les adore en se prosternant sur sa face, il semble qu’il voit d’abord en eux des anges ; mais ensuite, quand il les invite à prendre de la nourriture, comme en ont besoin les mortels, il semble, qu’il croit distinguer en eux (les hommes. La question se résout ici de la même manière qu’elle a été résolue au sujet des trois anges, qui apparurent à Abraham. La divinité de leur mission éclatait à certains signes, mais en même temps ils paraissaient de simples mortels. Aussi lit-on dans l’épître aux Hébreux, quand l’Écriture fait l’éloge de l’hospitalité : « C’est en l’exerçant que plusieurs, sans le savoir, eurent pour hôtes des Anges[2]. »

XLII. (Ib. 19, 8.) Conduite de Loth envers les Sodomites. — « J’ai, dit Loth aux Sodomites, deux filles qui sont encore vierges, je vous les amènerai ; usez-en comme il vous plaira, pourvu que vous ne fassiez point de mal à ces hommes. » Il voulait, en livrant ses filles, obtenir en retour que ses hôtes ne subissent point un pareil outrage de la part des Sodomites. On demande, et à bon droit, si pour établir une sorte de contrepoids à des infamies ou à d’autres péchés, il est permis de faire un mal, afin d’empêcher un autre d’en commettre un plus grand ; ou s’il ne faut pas attribuer les paroles de Loth au trouble plutôt qu’à la réflexion. Il serait en effet extrêmement dangereux d’approuver cette manière d’agir ; mais si on l’attribue au trouble et à l’émotion produite par un si grand mal, elle n’est imitable à aucun titre.

XLIII. (Ib. 19, 11.) Aveuglement des Sodomites — « Or, ils frappèrent de cécité les hommes qui étaient à la porte de la maison. » Le grec porte : ἀορασία, ce qui signifie plutôt privation de la vue qui rendait invisible, non pas tout, mais ce qu’il ne fallait pas voir. En effet, s’ils eussent été frappés de cécité et absolument incapables de rien distinguer, comment auraient-ils pu se lasser de chercher la porte ? Affligés de leur malheur, ils n’en auraient pas même eu la pensée. C’est de cette espèce de privation de la vue que furent frappés ceux qui étaient à la recherche d’Élisée[3]. Ceux qui ne reconnurent pas le Seigneur après la résurrection, en marchant avec lui dans le chemin, l’éprouvèrent également[4]; si le mot n’y est pas, la réalité néanmoins est évidente.

XLIV. (Ib. 19, 18-19.) Sur les paroles que la peur inspire à Loth. — « Loth leur dit : Seigneur, puisque votre serviteur a trouvé grâce devant vous et que vous avez signalé votre justice à mon égard, en me conservant la vie ; considérez, je vous prie, que je ne puis me sauver sur la montagne, que les maux m’y atteindront peut-être et que je mourrai. » Il ne se confiait pas même à Dieu, qu’il reconnaissait dans les anges. C’était déjà sous cette inspiration qu’il parlait, lorsqu’il consentit à livrer ses filles. Comprenons par là que ses paroles relatives au déshonneur de ses enfants ne doivent point faire autorité, pas plus que le manque de confiance en Dieu, qui s’appuierait sur son exemple.

XLV. (Ib. 19, 29.) À quoi faut-il attribuer la délivrance de Loth ? — « Et Dieu se souvint d’Abraham et délivra Loth du milieu des ruines. » L’Écriture attribue la délivrance de Loth principalement aux mérites d’Abraham, pour nous faire comprendre que Loth n’est appelé juste que dans une certaine mesure, surtout parce qu’il adorait le seul vrai Dieu, et par comparaison avec les crimes des Sodomites ; car en vivant au milieu d’eux il ne put jamais se faire à leur genre de vie.

XLVI. (Ib. 19, 30.) De la montagne où Loth se réfugia.

  1. Jer. 5, 1
  2. Heb. 12, 2
  3. 2Ro. 6, 18
  4. Luc. 24, 16