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d’images sensibles : alors elle confond avec ces images les perceptions des sens, quoiqu’elle ait encore le libre usage de ces sens. Enfin l’Esprit lui communique parfois un transport qui l’arrache à la vie des sens et ne lui permet plus que d’apercevoir les images dans une vision toute spirituelle : je ne crois pas qu’une pareille vision puisse avoir lieu sans que l’image contienne une vérité.

CHAPITRE XXIV. SUPÉRIORITÉ DE LA VISION RATIONNELLE SUR LA VISION SPIRITUELLE ET DE CELLE- 101 SUR LA VISION SENSIBLE.


50. L’esprit, où s’impriment non les corps mais les images des corps, est donc un principe de visions inférieures à celles de la raison, dont la lumière sert à distinguer entre elles ces visions inférieures et tout ensemble à découvrir les idées qui ne sont ni les corps ni les représentations des corps : par exemple la raison elle-même, les vertus, ou les vices que l’on condamne si justement chez les hommes. L’intelligence en effet n’est aperçue que par un effort de l’intelligence. Ainsi en est-il de « la joie, la charité, la patience, la bénignité, la bonté, la longanimité, la douceur, la foi, la modestie, la continence, la chasteté » bref, de toutes les vertus qui nous rapprochent Dieu, enfin de Dieu lui-même « principe, cause et centre de tout[1]. »
51. Ainsi quoique la même âme serve de théâtre aux différentes visions, soit qu’elles dépendent des sens, comme celles que nous découvrent le ciel, la terre, les êtres qui y tombent sous nos regards avec leurs caractères propres ; soit qu’elles dépendent de l’esprit, comme celles qui reproduisent les corps, grâce aux images dont nous avons déjà tant parlé ; soit enfin qu’elles relèvent de la raison, comme celles qui nous font comprendre les choses en dehors de toute sensation et de toute image ; chacune a son rang particulier qui établit entre elles divers degrés. La vision spirituelle est plus haute que la vision sensible, comme la vision rationnelle est plus parfaite que la vision spirituelle. Car, la vision sensible ne salerait exister sans la vision spirituelle : au moment où les organes reçoivent une impression d’un corps, il se grave dans l’âme une empreinte qui, sans être le corps lui-même, en est la représentation ; supprimez cette opération, le sens qui nous livre la réalité extérieure, n’existe plus. En effet, ce n’est pas le corps, c’est l’âme qui sent par l’entremise du corps, simple messager qu’elle emploie pour savoir ce qui se passe au-dehors et se le figurer en elle-même. La vision sensible ne peut donc avoir lieu sans la vision spirituelle ; elles sont simultanées, et pour les distinguer, il faut s’abstraire des sens : on retrouve alors dans l’esprit l’image de ce qu’on voyait par les yeux. La vision spirituelle au contraire peut avoir lieu même sans la vision sensible, par exemple, quand l’image d’un corps apparaît dans son absence, ou qu’elle se modifie au gré de la fantaisie, ou même qu’elle apparaît en dépit de la volonté. A son tour la vision spirituelle a besoin pour être contrôlée du concours de la vision rationnelle, qui en est tout à fait indépendante. Ainsi les deux premières espèces de vision sont subordonnées à la troisième. Lors donc que nous lisons dans l’Écriture « que l’homme spirituel juge tout et n’est lui-même jugé par personne[2] » il n’est pas ici question de l’esprit, en tant que faculté subordonnée à la raison comme dans ces mots : « Je prierai avec l’esprit, je prierai aussi avec la raison[3]; » cette expression a le même sens que dans cet autre passage : « Renouvelez-vous dans l’esprit de votre intelligence[4]. Nous avons remarqué plus, haut que l’intelligence, qui aide l’homme spirituel à juger de tout, est aussi désignée par le mot esprit. Il me semble donc qu’on peut regarder avec raison la vision spirituelle comme tenant le milieu entre les deux autres. Il convient en effet de voir dans les images qui représentent les corps sans être matérielles, une chose intermédiaire entre l’impression physique et l’idée qui n’est un produit ni des sens ne de l’imagination.

CHAPITRE XXV. LA VISION RATIONNELLE SEULE INCAPABLE DE TROMPER.


52. L’âme est souvent dupe des images, non parce qu’elles sont fausses, mais par ce qu’elle se fait illusion à elle-même : elle prend l’apparence pour la réalité, ce qui est une faiblesse d’esprit. On se trompe donc en croyant que ce qui se passe dans les sens se passe aussi dans la réalité : par exemple, quand on est sur l’eau on croit voir marcher les objets immobiles sur le rivage ; les astres en mouvement dans le ciel sont immobiles pour les yeux ; quand les rayons visuels sont

  1. Gal. 5, 22-23 ; Rom. 11, 36
  2. 1 Cor. 2, 15
  3. Id. 14, 15
  4. Eph. 4, 23