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LIVRE XII. LE PARADIS ET LE TROISIÈME CIEL.

CHAPITRE PREMIER. DU PASSAGE DE SAINT PAUL RELATIF AU PARADIS.


1. Dans le commentaire qui s’étend depuis les premiers mots de la Genèse jusqu’au moment où l’homme fut chassé du Paradis, j’ai traité en onze livres toutes les questions que j’ai pu, clans la mesure de mes forces ; j’ai affirmé et soutenu les vérités incontestables, j’ai analysé et discuté les hypothèses : mon but a été moins d’imposer mon opinion sur les points obscurs que d’invoquer les lumières d’autrui dans mes doutes, et de prévenir toute assertion présomptueuse chez le lecteur, quand je n’ai pu donner à ma pensée un fondement solide. Dégagé des préoccupations où me jetait. l’interprétation littérale du texte sacré, ce douzième livre sera un traité plus libre et plus développé de la question qui a pour objet le Paradis : de la sorte je n’aurai pas l’air d’avoir évité le passage où l’Apôtre semble parler du Paradis sous le nom de troisième ciel, le voici : « Je connais un chrétien qui, il y a quatorze ans (était-ce dans son corps, ou hors de son corps, je le ne sais pas, Dieu le sait) fut ravi jusqu’au troisième ciel. Je sais encore que ce même homme (était-ce dans son corps, ou hors de son corps, je ne le sais pas, Dieu le sait) fut ravi jusque dans le Paradis, et y entendit des choses qu’il n’est pas donné à l’homme d’exprimer[1]. »
2. Il faut d’abord chercher ce que l’Apôtre entend par troisième ciel ; puis, se demander s’il a confondu ce séjour avec le Paradis, ou s’il veut dire qu’il est passé du troisième ciel dans le Paradis, en quelque lien qu’il soit, de.tellesorte que, loin de confondre le ciel avec le Paradis, il révèle qu’il a été ravi au troisième ciel et de là au Paradis. Or, ce dernier point me semble si obscur que, pour résoudre la question, il faudrait à mes yeux trouver dans d’autres passages de l’Écriture, plutôt que dans les paroles de l’Apôtre, ou demander à une raison péremptoire la preuve décisive que le Paradis est ou n’est pas dans le troisième ciel, car on ne découvre pas clairement si le troisième ciel est situé dans le monde physique, ou s’il doit être compris parmi les choses purement spirituelles. On avancera peut-être qu’un homme ne pouvait être ravi avec son corps que dans une région matérielle, soit : mais comme l’Apôtre déclare qu’il ne sait pas s’il y fut ravi avec ou sans son corps, comment oser assurer ce que l’Apôtre ne sait pas lui-même, selon ses propres paroles ? Cependant, comme il est impassible que l’esprit sans le corps soit ravi dans une région matérielle, ou que le corps soit transporté dans un séjour spirituel, le doute même de l’Apôtre, sur un évènement qui lui est tout personnel, comme personne ne le conteste, force en quelque sorte à conclure qu’on ne saurait savoir nettement si ce séjour était matériel ou purement spirituel.

CHAPITRE II. L’APÔTRE A PU IGNORER S’IL AVAIT VU LE PARADIS INDÉPENDAMMENT DE SON CORPS.


3. En effet, lorsque l’image d’un corps nous apparaît soit en songe, soit en extase, on ne la distingue pas du corps lui-même : il faut pour cela revenir à soi-même et reconnaître qu’on s’est trouvé en présence d’images que l’esprit ne recevait pas par le canal des sens. Qui ne s’aperçoit à son réveil que les objets vus en songe étaient purement imaginaires, quoiqu’il fût impossible de distinguer pendant le sommeil entre l’apparition et la réalité ? Il m’est arrivé et, à ce titre, d’autres ont éprouvé ou éprouveront la même chose, que dans ces rêves j’avais conscience de rêver : tout endormi que j’étais, je voyais foil distinctement que les images qui d’ordinaire font illusion à notre esprit, étaient, non des réalités, mais des fantômes. Voici mon erreur : je voulais persuader à l’ami dont les songes me reproduisaient le portrait exact, que nos perceptions n’avaient rien de vrai et n’étaient que des visions de songes ; et pourtant il n’y avait aucune différence entre elles et l’image qu’elles m’offraient de sa personne. J’ajoutais que notre entretien même était une illusion et que juste en ce moment il

  1. 2 Cor. 12, 2,4