Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IV.djvu/307

Cette page n’a pas encore été corrigée

CHAPITRE XLII. ADAM A-T-IL AJOUTÉ FOI AUX PAROLES DU SERPENT ? DU MOTIF QUI L’A FAIT PÉCHER.


58. Une question plus importante est de savoir comment Adam, si son intelligence était déjà spirituelle, quoique le corps fût animal, a pu se laisser prendre aux paroles du serpent et croire que Dieu leur avait défendu de toucher à l’arbre de vie, parce qu’il savait que la connaissance du bien et du mal les rendrait semblables à lui ; comme si t’eût été là l’unique avantage que Dieu eût envié à sa créature ? Il serait étrange qu’avec une intelligence ornée des dons de la spiritualité, l’homme eût été dupe d’une pareille illusion. N’est-ce point parce qu’il y résista qu’il fut harcelé par sa femme, laquelle était moins intelligente et vivait peut-être à cette époque de la vie des sens sans connaître celle de l’esprit ? L’Apôtre en effet ne lui donne pas le privilège de ressembler directement à Dieu : « L’homme, dit-il, ne doit pas se couvrir la tête, étant l’image et la gloire du Seigneur ; mais la femme est la gloire de l’homme[1]. » Ce n’est pas que l’esprit de la femme ne puisse également réfléchir la même image, puisque le même Apôtre dit que sous le règne de la grâce « il n’y a plus ni hommes ni femmes[2] » il est plutôt probable que la femme n’avait point encore acquis les dons que vaut à l’esprit la connaissance de Dieu et qui lui auraient été peu à peu communiqués par son mari, chargé de l’instruire et de la gouverner. L’Apôtre n’a pas dit en vain : « Adama été créé le premier, Eve ensuite. De plus Adam n’a pas été séduit, mais c’est Eve qui ayant été séduite a été la cause de la prévarication du genre humain[3] : » ajoutons, en rendant l’homme lui-même prévaricateur. Adam en effet a été prévaricateur, comme le dit encore l’Apôtre quand il parle « de la prévarication du premier Adam, type de l’Adam futur[4]. » Mais il dit formellement qu’Adam n’a point été séduit. Remarquons en effet qu’en répondant à Dieu, il ne dit pas : la femme m’a séduit, mais bien : « la femme que vous avez mise avec moi m’a donné du fruit et j’en ai mangé. » La femme dit au contraire expressément : « Le serpent m’a séduite. »
59. Voyez Salomon : est-il possible qu’un roi de si haute sagesse ait cru que l’idolâtrie eût le moindre fondement ? Non, mais il ne peut résister à sa passion pour les femmes qui l’entraînaient à ce péché, et il fit le mal que lui reprochait sa conscience, pour ne pas déplaire aux yeux pleins d’un poison mortel, qui le transportaient d’un amour aveugle et insensé[5]. Il en fut de même d’Adam : quand la femme eut mangé du fruit défendu et qu’elle lui en eut présenté, afin qu’ils en mangeassent ensemble, il ne voulut pas l’attrister, à la pensée sans doute qu’elle serait inconsolable, s’il lui retirait son affection, et qu’une rupture aussi cruelle la ferait mourir. Il ne céda pas à la concupiscence de la chair, puisqu’il n’avait point encore éprouvé les effets de la loi qui révolte la chair contre l’esprit ; il céda à cette sympathie qui nous fait souvent offenser Dieu pour conserver un ami ; et en cela il fut coupable, comme l’indique assez la juste exécution de l’arrêt divin.
60. Adam a donc été trompé, mais d’une manière bien différente : il est impossible, à mes yeux, qu’il soit tombé comme la femme, dans le piège que lui tendait le serpent. L’Apôtre voit une séduction, au sens rigoureux du mot, dans l’illusion qui fit prendre à la femme les mensonges du serpent pour des vérités ; en d’autres termes, dans la faiblesse qu’elle eut de croire que Dieu leur avait défendu de toucher à l’arbre de la science, uniquement parce qu’il savait qu’en y touchant ils seraient semblables à des dieux, comme si le Créateur des hommes eût envié à l’homme le privilège de devenir son égal. Que l’homme ait éprouvé un mouvement d’orgueil, qui ne put échapper au Dieu qui lit dans les cœurs, et qu’il ait, comme nous l’avons dit plus haut ; cédé au désir de faire l’épreuve, en voyant que sa femme avait mangé du fruit défendu sans mourir, soit ; mais je ne saurais croire qu’il ait pu s’imaginer, si son intelligence était vraiment spirituelle, que Dieu leur eût interdit l’arbre de la Science par un sentiment de jalousie. Pour terminer, ils ont été engagés au péché par des motifs capables d’agir sur eux, et le récit de leur faute a été fait pour être lu avec profit par tout le monde, encore que bien peu le comprennent comme il faudrait.

  1. 1 Cor. 11, 7
  2. Gal. 3, 27-28
  3. 1 Tim. 2, 13, 14
  4. Rom. 5, 14
  5. 1 R. 11, 4