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53. « Et Dieu dit : Voilà Adam devenu comme l’un de nous, sachant le bien et le mal. » Dieu a prononcé ces paroles, quel que soit le moyen qu’il ait employé ; dès lors il faut voir dans le pluriel une allusion à la Trinité, analogue à celle qu’on trouve dans ce passage : « Faisons l’homme[1] » ou dans cet autre : « Nous viendrons vers lui et nous habiterons en lui » comme le dit le Seigneur de lui-même et de son Père[2]. Ainsi la promesse du serpent est retombée sur la tète de l’orgueilleux ; voilà ou aboutissent ses aspirations.« Vous serez comme des dieux, disait le serpent. Voilà Adam devenu comme l’un de nous » répond Dieu. Ces paroles divines sont moins une insulte, qu’un avertissement terrible destiné à réprimer l’orgueil de tous les hommes, dans l’intérêt desquels ce récit a été composé. Peut-on voir-en effet dans ces mots : « Le voilà devenu comme l’un de nous, sachant le bien et le mal » un autre but que celui d’inspirer une terreur salutaire, puisque, loin de devenir ce qu’il avait rêvé, Adam n’a pas même gardé sa grandeur originelle ?

CHAPITRE XL. ADAM ET EVE CHASSÉS DU PARADIS. – EXCOMMUNICATION.


54. « Et maintenant, dit Dieu, prenons garde qu’il n’étende la main, qu’il ne touche à l’arbre de vie, qu’il n’en mange et ne vive éternellement. Et Dieu le chassa de l’Eden pour qu’il allât travailler la terre dont il avait été tiré. » Dans ce passage, on reproduit d’abord les paroles de Dieu ; l’expulsion d’Adam en est la conséquence rigoureuse. Mort à là vie des anges qui aurait été sa récompense, s’il avait été fidèle au commandement de Dieu, que dis-je ? à la vie heureuse que lui assurait dans le paradis la vigueur de son organisation, il dut être séparé de l’arbre de vie, soit que cet objet visible lui aurait conservé, par une vertu invisible, son heureuse organisation, soit qu’il fût le signe visible de l’invisible sagesse. Il en fut séparé par le fait de sa condamnation à mort, ou même par une espèce d’excommunication, analogue à celle dont l’Église, le Paradis de la terre, frappe les coupables selon la règle de sa discipline et les sépare des sacrements visibles de l’autel.
55. « Et il chassa Adam : et il le plaça à l’opposé du jardin des délices. » Cet évènement est réel, bien qu’il nous apprenne en même temps que le pécheur est à l’opposé de la vie spirituelle, dont le paradis était le symbole, et qu’il vit dans la misère. « Puis il plaça un Chérubin et un glaive flamboyant qui s’agitait, pour garder le chemin qui conduisait à l’arbre de vie. » Que, les puissances célestes aient exécuté cet ordre dans le paradis terrestre et qu’une flamme vigilante ait été entretenue par le ministère des anges, on n’en saurait douter : le fait né doit pas être contesté ; mais il représente en même temps ce qui se passe dans le Paradis spirituel.

CHAPITRE XLI. HYPOTHÈSES SUR LA NATURE DU PÉCHÉ D’ADAM.


56. Je n’ignore pas que, d’après certaines personnes, le premier couple humain n’a pas su contenir l’instinct qui le portait à connaître le bien et le mal, en d’autres termes, qu’il a voulu devancer le moment où il lui aurait été donné d’acquérir plus utilement cette idée, et que le tentateur a eu pour but de leur faire offenser Dieu en leur donnant cette science anticipée, afin qu’ils fussent condamnés à être dépossédés du trésor dont ils auraient pu jouir sans danger, s’ils avaient su ne s’en approcher qu’au moment fixé par Dieu. En prenant l’arbre de la science au sens figuré, au lieu d’y voir exclusivement un arbre réel avec ses fruits, on pourrait donner à cette hypothèse un tour conforme à la saine doctrine.
57. D’autres ont cru que nos premiers parents s’étaient approprié le droit de mariage, sans attendre que leur union eût été permise par le Créateur : l’arbre de la science serait le symbole de cette union qui leur aurait été interdite jusqu’au moment favorable pour la consommer. Ainsi nous voilà réduits à croire qu’ils ont été créés à un âge qui précédait la pleine puberté ou que leur union ne fut pas légitime au premier moment qu’elle put s’accomplir, et que, ne pouvant être légitime, elle dut ne point s’accomplir : il aurait fallu attendre sans doute que le mariage se fit dans les formes avec la cérémonie des vœux, l’appareil du festin, le contrat. Tout cela est ridicule, et a en outre l’inconvénient d’être en désaccord avec les faits dont nous cherchons a établir et dont nous avons établi la valeur historique, selon les forces qu’il a plu Dieu de nous prêter.

  1. Gen. 1, 26
  2. Jn. 14,23