Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IV.djvu/302

Cette page n’a pas encore été corrigée

CHAPITRE XXXI. COMMENT ET SUR QUOI LEURS YEUX S’OUVRIRENT-ILS ?


40. « Ils en mangèrent donc et leurs yeux s’ouvrirent » mais sur quoi ? Ce fut hélas ! Pour éprouver les feux de la concupiscence et subir la peine du péché qui, avec la mort, s’était insinuée dans leur chair. Celle-ci ne fut plus seulement ce corps animal, qui pouvait se transformer, s’ils avaient persévéré dans l’obéissance, en un corps plus parfait et tout spirituel sans passer par la mort ; elle devint une chair de mort et une loi lutta désormais dans les membres « contre la loi de l’esprit[1]. » Car, ils n’avaient pas été créés les yeux fermés ; ils n’avaient pas erré à tâtons dans l’Eden, exposés Moucher sans le savoir l’arbre défendu et à en cueillir les fruits malgré eux. D’ailleurs, comment les animaux auraient-ils été amenés à Adam pour qu’il vît comment il les nommerait, s’il n’avait pas vu en effet ? Comment la femme aurait-elle été présentée à l’homme et lui aurait-elle fait dire : « Voilà l’os de mes os et la chair de ma chair [2] » s’il avait été aveugle ? Enfin, comment Eve elle-même eût-elle vu que le fruit défendu « était beau à voir et agréable à manger » si leurs yeux avaient été réellement fermés ?
41. Il ne faudrait pas toutefois, en prenant un seul mot dans le sens métaphorique, changer ce passage en une allégorie. C’est à nous d’examiner en quel sens le serpent a dit : « Vos yeux s’ouvriront. » Sans doute le serpent à tenu ce langage, l’écrivain sacré le raconte ; mais nous pouvons examiner quel en est le sens. Ces expressions : « Leurs yeux furent ouverts et ils s’aperçurent qu’ils étaient nus » sont le récit d’un fait historique ; rien ne nous autorise à y voir une allégorie. L’Évangéliste apparemment n’introduisait pas dans son récit les paroles métaphoriques de quelque personnage, mais rappelait en son nom ce qui s’était passé lorsqu’il disait des deux disciples d’Emmaüs, dont l’un s’appelait Cléophas, que leurs yeux s’ouvrirent, quand le Seigneur rompit le pain, et qu’ils le reconnurent ; ces disciples en effet n’avaient pas marché les yeux fermés, mais leur, vue était d’abord impuissante à reconnaître le Sauveur[3]. Dans ces deux récits il n’y a aucune allégorie, quoique l’Écriture dise au figuré que leurs yeux s’ouvrirent. Ils n’étaient pas fermés en effet, mais ils s’ouvrirent en ce sens qu’ils se fixèrent sur des objets qui jusque-là n’avaient point attiré leur attention. Quand donc Adam et Eve eurent été entraînés à enfreindre le précepte par une curiosité criminelle, avide de reconnaître les conséquences mystérieuses qu’ils auraient à subir s’ils touchaient au fruit défendu, et, qu’ayant vu ce fruit tout semblable à ceux dont ils avaient mangé sans éprouver aucun mal, ils eurent plus de pente à croire que Dieu excuserait aisément leur faute, qu’à résister à la tentation de découvrir les propriétés de ce fruit, ainsi que le motif qui avait décidé Dieu à le leur défendre ; lorsqu’ils eurent transgressé le commandement et qu’ils furent dépouillés intérieurement de la grâce qu’ils avaient offensée parleur orgueil et les fumées de leur amour-propre ; alors ils jetèrent les yeux sur leur corps et éprouvèrent, par un mouvement jusque-là inconnu, les désordres de la concupiscence. Par conséquent, leurs yeux s’ouvrirent sur un point qui jusque-là avait échappé à leurs regards, quoiqu’ils fussent antérieurement ouverts sur d’autres objets.

CHAPITRE XXXII. DU PRINCIPE DE LA MORTALITÉ ET DE LA CONCUPISCENCE.


42. La mort entra ainsi dans leurs organes le jour.mêmeoù la défense de Dieu fut violée. Leur corps n’eut plus cet état merveilleux où le maintenait la vertu mystérieuse de l’arbre de vie, qui l’aurait mis à l’abri des maladies comme des atteintes de la vieillesse : car bien qu’il fût encore animal et qu’il ne dût se transformer que plus tard, l’effet de l’arbre de vie représentait déjà l’effet tout spirituel de la sagesse qui fait participer les Anges à l’éternité en dehors de toute déchéance. Ainsi détérioré, leur corps contracta les principes de maladie et de mort qui sont propres également aux animaux, et comme eux il ressentit l’appétit des sexes destiné à combler les vides de la mort. Toutefois, la noblesse de l’âme raisonnable, éclatant jusque dans sa punition, la fit rougir du mouvement brutal qui se passait dans les membres ; la honte naquit en elle, de la sensation étrange qu’elle n’avait point encore éprouvée, et surtout de l’idée que le péché était la cause de ce penchant grossier. Ce fut l’exacte application de la parole du prophète : « Seigneur, vous avez dans votre volonté, donné

  1. Rom. 7,23
  2. Gen. 2, 19, 22-23
  3. Lc. 24, 13-31