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Y a-t-il une âme meilleure que la sienne ? Quand bien même l’hypothèse de la transmission des âmes serait prouvée au lieu d’être débattue, on ne devrait pas pour ce motif croire l’âme issue de l’âme du premier prévaricateur, puisque autrement la désobéissance d’un seul ferait un pécheur de celui-là même qui par son obéissance en a affranchi beaucoup de la condamnation et les a justifiés ? Quel sein est plus chaste que celui de cette Vierge qui, tout en ayant pris son corps à la tige du péché, a conçu en dehors de toute communication avec le péché, en sorte que le Christ a pris naissance dans ses entrailles sans être soumis a la loi qui, inhérente aux organes de ce corps de mort, contredit celle de l’esprit ? C’est cette loi que les saints de l’ancien Testament ont dominée dans le mariage, et n’ont laissé agir qu’autant qu’il le fallait dans l’intérêt de l’espèce. Tout en s’incarnant dans une femme, conçue d’après le mode dont la chair de péché se transmet, comme sa conception s’est accomplie autrement que celle de sa mère, sa chair, loin d’être corrompue par le péché, n’en a pris que la ressemblance. S’il a été condamné à mourir, ce n’est point à cause de ces mouvements involontaires, quoique la volonté doive les dominer, qui éclatent dans la chair et qui s’élèvent contre l’esprit[1] : il n’a pas pris un corps seulement pour arrêter la contagion du péché, mais, pour payer à la mort le tribut qu’il ne devait pas, et pour faire briller à nos yeux les promesses de la résurrection : c’est ainsi qu’il nous a tout ensemble délivrés de la crainte et donné l’espérance.
33. Du reste, si on me demande où Jésus-Christ a puisé son âme, j’avoue que sur ce sujet j’aimerais mieux écouter des personnes plus vertueuses ou plus habiles que moi : toutefois, s’il faut répondre, je dirai selon la portée de mon esprit, qu’il la tient, non d’Adam, mais du principe même dont la tient Adam. Si la poussière empruntée à la terre a pu s’animer sous un souffle divin sans aucune intervention de l’homme, le corps emprunté à une chair virginale ne devait-il pas à plus forte raison obtenir une âme bonne, quand il s’agissait, ici, d’élever celui qui devait tomber ; là, de faire descendre celui qui devait nous relever ? Peut-être, si cette pensée toutefois peut s’appliquer au Christ, le mot sortitus sum a-t-il été employé parce que les dons du hasard ne sont d’ordinaire que les dons de la Providence : ou plutôt, comme on peut le dire avec confiance, cette expression a été choisie en vue de nous montrer que des œuvres antérieures n’ont point élevé à cette grandeur sublime l’âme avec laquelle le Verbe s’est fait chair pour habiter parmi nous[2], le mot sortiri excluant tout mérite dans une vie antérieure.

CHAPITRE XIX. L’ÂME DU CHRIST N’ÉTAIT POINT DANS ABRAHAM ; ELLE N’EST POINT VENUE PAR TRANSMISSION.


34. L’Epître aux Hébreux renferme un passage qui mérite toute notre attention. L’Apôtre montre la différence qui sépare le sacerdoce de Lévi du sacerdoce du Christ, sous l’emblème prophétique du grand-prêtre Melchisédech : « Considérez, dit-il, combien grand a dû être celui à qui le patriarche Abraham lui-même a donné la dîme des plus riches dépouilles. Ceux des enfants de Lévi qui ont reçu le sacerdoce ont ordre, d’après la loi, de lever les dîmes sur tout le peuple, c’est-à-dire, sur leurs frères, quoique sortis comme eux du sang d’Abraham. Et voilà que celui qui ne partage point avec eux la même origine, a pris les dîmes d’Abraham lui-même, et il a béni celui à qui les promesses avaient été faites. Or c’est une maxime incontestable que celui qui bénit est au-dessus de celui qui reçoit la bénédiction. De plus, quand il s’agit des Lévites, ce sont des hommes mortels qui reçoivent la dîme, et quand il s’agit de Melchisédech, c’est un homme que l’Écriture nous représente comme toujours vivant. Si j’ose le dire, Lévi, qui reçoit la dîme, l’a en quelque sorte payée dans la personne d’Abraham : car il était renfermé en son aïeul[3]. » Si donc la prééminence du sacerdoce de Jésus-Christ sur le sacerdoce de Lévi éclate dans ce fait, que celui qui reçut la dîme d’Abraham, en qui Lévi la paya lui-même, était la figure de Jésus-Christ comme prêtre, il faut reconnaître que le Sauveur n’a point payé la dîme en la personne d’Abraham ; et si Lévi paya la dîme, parce qu’il était renfermé dans Abraham, le Christ ne l’a point payée, par ce qu’il n’était pas renfermé dans sa personne. Est-ce le corps de Lévi, et non son âme, qui était implicitement renfermé dans la personne d’Abraham ? A ce titre, le Christ y était également compris, puisqu’il est selon la chair de la race d’Abraham, et à ce titre aussi, il a payé la dîme.

  1. Gal. 5, 17
  2. Jn. 1, 14
  3. Heb. 7, 4-10