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mais en vertu de cette volonté souveraine qui gouverne à son gré ce qu’elle a créé à son gré. Ainsi en est-il de la grâce, qui assure le salut des pécheurs. La nature faussée par les écarts de la volonté, est incapable de reprendre sa droiture par elle-même : elle a besoin du secours de la grâce pour se régénérer. Que l’homme ne se désespère donc pas en écoutant ce passage : « Quiconque marche dans cette voie, ne reviendra jamais sur ses pas[1]. » On veut ici faire sentir tous le poids de l’iniquité, afin que le pécheur attribue son retour non à ses mérites mais à la grâce, et ne s’enorgueillisse pas de ses œuvres[2].
34. Aussi, d’après l’Apôtre, le mystère de la grâce est-il caché, non dans l’univers qui ne renferme que les causes naturelles des êtres à venir, au même titre que Lévi a payé la dîme dans la personne de son aïeul Abraham[3], mais en Dieu, le créateur de l’univers. Par conséquent, tous les prodiges que Dieu a accomplis en dehors des lois ordinaires de la nature, pour figurer le mystère de la grâce, ont eu leur principe caché en Dieu. Or, s’il faut ranger parmi ces miracles la formation de la femme d’une côte de l’homme pendant son sommeil ; si elle prit dans cet os un principe de force, tandis que l’homme s’affaiblit pour elle, en échangeant cette côte pour une chair délicate ; on doit admettre qu’au sixième jour la création primitive de l’homme « mâle et femelle » n’impliquait pas la naissance de la femme ; telle qu’elle s’accomplit, mais la rendait seulement possible ; autrement un changement de volonté aurait pu produire une œuvre en contradiction avec les principes que Dieu avait volontairement établis. Quant à la raison qui devait empêcher cet ouvrage d’apparaître sous une forme indépendante des causes primitives, elle était renfermée en Dieu, l’auteur de toutes choses.
35. L’Apôtre ayant donc déclaré « que ce mystère était caché dans le sein de Dieu, afin que les principautés et les puissances célestes apprissent elles-mêmes parla formation de l’Église la sagesse si diversifiée de Dieu[4] » on a quelque raison de croire que, si la semence bénie à qui la promesse, a été faite, a été disposée, par les Anges, aux mains d’un médiateur, tous les miracles qui se sont accomplis pour figurer d’avance ou prédire l’avènement de cette semence, ont eu lieu avec le concours des anges, en remarquant toutefois que celui-là seul crée ou régénère les êtres « qui féconde les travaux de quiconque plante ou arrose[5]. »

CHAPITRE XIX. DE L’EXTASE D’ADAM.


36. L’extase où Dieu fait entrer Adam, afin de le plonger dans le sommeil, peut donc fort bien s’entendre d’un ravissement qui le mit en communication avec la société des anges et le fil pénétrer dans le sanctuaire de Dieu, afin qu’il y apprît le mystère qui ne devait s’accomplir qu’à la fin des temps[6]. Aussi en voyant près de lui, à son réveil la femme tirée d’une de ses côtes, laissa-t-il échapper, comme dans un transport prophétique, ces paroles où l’Apôtre voit un mystère si auguste[7] : « C’est là l’os de mes os et la chair de ma chair : on l’appellera femme, parce qu’elle a été tirée de l’homme. L’homme quittera donc son père et sa mère pour s’attacher à son épouse, et ils seront deux en une seule chair. » Quoique l’Écriture attribue ces paroles au premier homme, le Seigneur dans l’Évangile les cite comme étant sorties de la bouche de Dieu même : « N’avez-vous, pas lu, dit-il, que celui qui créa l’homme au commencement, les créa mâle et femelle, et qu’il dit : A cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et ils seront deux dans une seule chair[8] ? ». C’est afin de nous faire comprendre qu’Adam prononça ces paroles par une inspiration prophétique, en sortant de son ravissement. Mais terminons ici ce livre et cherchons à renouveler par l’attrait d’une question nouvelle l’attention du lecteur.

  1. Prov. 2, 19
  2. Eph. 2, 9
  3. Heb. 7, 9-10
  4. Eph. 3, 9-10
  5. 1 Cor. 3, 7
  6. Ps. 72, 17
  7. Eph. 5, 31-32
  8. Mt. 19, 4