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éviter la mort, si ce n’est l’instinct même de la vie ? Qui apprend à un petit enfant le secret de s’attacher à celui qui le porte, si celui-ci fait semblant de vouloir le précipiter d’un lieu élevé ? Ces idées naissent au bout d’un certain temps, mais elles devancent toute expérience analogue.
35. Ainsi les premières créatures humaines aimaient la vie et craignaient de la perdre ; quand Dieu les menaçait de leur ôter l’existence, en employant le langage ou tout autre moyen de communication, elles le comprenaient : l’unique moyen de leur faire concevoir le péché était de les convaincre qu’il les condamnerait à mourir, en d’autres termes à perdre le bienfait si doux de la vie. Qu’on examine, si cette question peut intéresser, comment ils ont reçu, en dehors de l’expérience, les idées que Dieu leur communiquait, les menaces qu’il leur adressait : on reconnaîtra que nous concevons sans effort et sans l’ombre d’un doute les idées qui nous sont le plus étrangères par les idées contraires, si elles en marquent la privation, par les idées analogues, si elles en désignent l’ordre. On ne s’embarrassera pas, j’imagine, dans la question de savoir comment ils pouvaient parler ou entendre une langue, n’ayant j aurais appris l’usage des mots dans la société ou à l’école : apparemment qu’il ne fut pas difficile à Dieu de leur enseigner le langage, après leur avoir donné la faculté de l’apprendre de la bouche d’un autre homme, en supposant qu’il eût existé.

CHAPITRE XVII. LA DÉFENSE FUT-ELLE FAITE A ADAM ET A EVE EN MÊME TEMPS ?


36. On se demande avec raison si la défense fut adressée à l’homme et à la femme, ou à l’homme seulement. À cet endroit de l’Écriture, la formation de la femme n’est point encore décrite. Aurait-elle été déjà créée à. cette époque ? L’Écriture reprend plus tard son récit pour exposer en détail l’œuvre qu’elle n’avait fait d’abord que mentionner. Du reste voici les paroles de l’Écriture : « Le Seigneur Dieu commanda à Adam » il n’est pas question de deux. Elle ajoute : « Tu mangeras de tous les arbres qui sont dans le jardin » il ne s’agit encore que d’un seul. Viennent ensuite ces paroles : « Quant à l’arbre de la science du bien et du mal, vous n’en mangerez pas. » Ici on emploie le pluriel ; la fin du précepte s’adresse également au premier couple humain : « Car du jour que vous en mangerez vous mourrez de mort. » Était-ce en prévoyant qu’il allait bientôt donner une compagne à Adam que Dieu formulait son commandement avec tant de précision, afin que l’homme transmît à sa femme les ordres du Seigneur ? L’Apôtre a conservé cet usage dans l’Église, quand il a dit : « Si les femmes veulent s’instruire de quelque chose, qu’elles interrogent leurs maris à la maison[1]. »

CHAPITRE XVIII. COMMENT DIEU A-T-IL PARLÉ A L’HOMME.


37. On peut encore se demander quel moyen Dieu employa pour parler à l’homme ; à ce moment, en effet, il était formé avec son intelligence et ses sens, il était capable d’entendre et de saisir la parole du Créateur. D’ailleurs une loi dont la violation devait être un crime, ne pouvait lui être imposée sans qu’il ne l’eût entendue et comprise. Mais comment Dieu lui parla-t-il ? Ne s’adressa-t-il qu’à son intelligence, en d’autres termes, ne fit-il qu’éclairer sa raison et lui révéler là loi qu’il lui imposait sans employer ni son ni image ? Mais je ne pense pas que Dieu ait ainsi parlé au premier homme. Le récit de l’Écriture laisse plutôt croire qu’il s’adressa à Adam comme il le fit plus tard aux patriarches, à Abraham, à Moïse, c’est-à-dire, apparaissant sous quelque forme corporelle : car nos premiers parents entendirent sa voix pendant qu’il se promenait dans le jardin et coururent se cacher[2].

CHAPITRE XIX. DE L’ACTIVITÉ DIVINE DANS LA CRÉATURE, ET D’ABORD DE DIEU MÊME.


38. Ici se présente une question vaste et bien digne de nous arrêter : il s’agit d’examiner dans la mesure de nos forces, ou de la grâce et du secours de Dieu, l’activité divine dans la double sphère où elle s’exerce ; c’est un sujet que nous avons déjà effleuré en passant, à propos de la culture du Paradis terrestre, afin que l’intelligence du lecteur s’accoutumât à une théorie si capable d’élever l’esprit au-dessus de toutes les pensées basses qu’on pourrait se former sur l’essence même de Dieu. Pour nous le Dieu souverain, véritable, unique, est le Père et le Fils

  1. 1 Cor. 14, 35
  2. Gen. 3, 8