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dans le gâteau qui suffit à Dieu pour préserver un prophète de la faim, pendant quarante jours[1]. Comment hésiter à croire qu’avec le fruit d’un arbre, par un bienfait dont la cause nous échappe, Dieu ait mis le corps de l’homme à l’abri des ravages de la maladie, des années et même des atteintes de la vieillesse, quand on voit ce même Dieu empêcher des aliments ordinaires de diminuer par un prodige et renouveler sans cesse la farine et l’huile dans des vases d’argile[2]? Vienne maintenant un dialecticien subtil qui prétende que Dieu a dû faire sur la terre des miracles qu’il n’a point dû faire dans le Paradis : apparemment que l’acte par lequel il forma l’homme du limon, la femme d’une côte de l’homme, n’est pas un prodige plus étonnant que la résurrection d’un mort.

CHAPITRE VI.

L’ARBRE DE LA SCIENCE DU BIEN ET DU MAL.

12. L’arbre de la science du bien et du mal se présente maintenant à notre attention. Sans nul doute, c’était un arbre réel et visible comme tous les autres. Là n’est point la question : le point à éclaircir est de savoir pourquoi il a été nommé ainsi. Or, plus j’examine, plus je suis porté à admettre que cet arbre n’offrait aucun aliment nuisible. Celui qui n’avait créé que des œuvres excellentes[3], n’avait rien mis de mauvais dans le Paradis : le mal data pour l’homme de sa désobéissance au commandement. L’homme étant soumis au souverain empire de Dieu devait être assujetti à une loi, afin d’avoir le mérite de conquérir la possession de son Seigneur par l’obéissance. L’obéissance, je puis le dire en toute sûreté, est la seule vertu de toute créature raisonnable, agissant sous la suzeraineté de Dieu, de même que le premier des vices et le comble de l’orgueil est de faire tourner sa liberté à sa perte, ce qui est proprement la désobéissance. Or l’homme ne pourrait reconnaître ni sentir la souveraineté de Dieu, s’il n’avait un commandement à exécuter. Par conséquent, l’arbre n’avait en lui-même rien de malfaisant : il fut appelé l’arbre de la science du bien et du mal, parce que, si l’homme venait à manger de ses fruits après là défense qu’il en avait reçue, il violerait, par la même, l’ordre de Dieu et reconnaîtrait, au châtiment qui suivrait cette transgression, toute la différence du bien et du mal, de la soumission et de la révolte. Il est donc ici question d’un arbre et non d’un symbole son nom ne vient pas des fruits qu’il devait produire, mais de la conséquence même qu’entraînerait pour l’homme l’infraction au commandement de n’y point toucher.

CHAPITRE VII.

DES FLEUVES QUI ARROSAIENT LE PARADIS TERRESTRE.

13. « Il sortait d’Eden un fleuve qui arrosait le jardin et de là il se divisait en quatre fleuves. Le nom du premier est Phison ; c’est celui qui coule autour de tout le pays d’Evilath, où il y a de l’or : et l’or de ce pays-là est bon. C’est là aussi que se trouve le bdellion et la pierre d’onyx. Le nom du second fleuve est Géon ; c’est lui qui coulé autour de tout le pays d’Éthiopie. Le nom du troisième fleuve est le Tigre ; c’est celui qui coule vers l’Assyrie. Et le quatrième fleuve est l’Euphrate[4]. » Faut-il m’évertuer à prouver que ce sont là de véritables fleuves plutôt que des fleuves imaginaires destinés à servir de symboles, quand leur réalité est indiquée par leurs noms seuls, si connus dans les pays qu’ils baignent et répandus pour ainsi dire dans le monde entier ? Le temps a changé le nom primitif de deux de ces fleuves ; de même que le Tibre s’est d’abord appelé l’Albula, le Nil et le Gange sont les noms modernes du Géonet du Phison : quant au deux autres ils portent encore le même nom que dans les anciens temps. Or, si leur existence est avérée, ne devons-nous pas également entendre à la lettre tous les récits de l’Écriture, et y voir, au lieu de pures allégories, des évènements historiques qui cachaient un sens figuré ? Assurément une parabole peut emprunter une couleur historique à des circonstances qui n’ont rien de réel, par exemple, celle où le Seigneur raconte qu’un homme, qui allait de Jérusalem à Jéricho, tomba entre les mains des voleurs[5]. Comment ne pas voir que c’est là une parabole et que le langage est allégorique d’un bout à l’autre ? Cependant les deux villes qui y sont nommées sont véritables et peuvent encore aujourd’hui se voir dans la Judée. Nous expliquerions de la même manière les quatre fleuves, si nous étions obligés d’interpréter au sens figuré tous les détails que l’Écriture nous transmet sur le Paradis

  1. 1Ro. 19, 8
  2. Id. 17, 16
  3. Gen. 1, 31
  4. Gen. 2, 10-14
  5. Lc. 10, 30