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parce que tout ce qui a précédé un fait pour le figurer doit servir à le désigner. Il est également l’agneau qui s’immole dans la Pâque ; or, le symbole n’est pas un mot, c’était une réalité ; l’agneau pascal était un véritable agneau, on l’immolait, on le mangeait[1]. Cependant ce sacrifice réel en figurait un autre. Ne le comparons pas au veau gras qu’on tue pour fêter le retour de l’enfant prodigue[2]. Là, en effet on développe une allégorie, on ne cherche pas le sens allégorique d’évènements véritables ; ce n’est point l’Évangéliste, c’est le Seigneur même qui est l’auteur de cette narration, l’Évangéliste ne fait que la reproduire : le récit est pourtant un fait, en ce sens que le Sauveur a tenu réellement ce langage ; mais dans sa bouche ce n’est qu’une parabole et on ne saurait exiger qu’on démontre l’authenticité des faits qui y sont racontés. Jésus-Christ est aussi tout ensemble la pierre sur laquelle Jacob versa de l’huile[3], et la pierre, qui, rejetée par les architectes, est devenue la principale pierre de l’angle[4]. Mais ici la figure n’est qu’une prophétie, là elle implique un fait. Moïse racontait en effet un évènement passé, le Psalmiste ne faisait que prédire l’avenir.

CHAPITRE V.

SUITE DU CHAPITRE PRÉCÉDENT.

9. C’est ainsi que dans le Paradis tout spirituel où le Larron fut introduit après sa mort sur la croix[5], la Sagesse, ou Jésus-Christ est l’arbre de vie ; mais, pour le représenter, il fut créé un arbre de vie dans le Paradis matériel ainsi le veut l’Écriture qui, racontant les évènements dans leur ordre chronologique, nous apprend que l’homme fut formé d’abord, puis, établi dans ce lieu, en pleine possession de la vie des sens. Se figure-t-on que l’âme, une fois dégagée du corps, est renfermée dans un lieu visible, bien qu’elle n’ait plus son enveloppe matérielle ? Qu’on avance cette proposition ; il ne manquera pas de gens pour l’appuyer, pour soutenir même que le riche altéré par l’Évangile est dans un séjour matériel, et que sa langue desséchée, la goutte d’eau qu’il aspire à recevoir du bout du doigt de Lazare, prouvent une âme unie à un corps. Je ne me hasarderai pas avec eux dans une question aussi difficile. Le doute, quand la vérité est obscure, vaut mieux qu’une discussion subtile où l’on ne peut arriver à la certitude. D’ailleurs, de quelque façon qu’il faille concevoir la flamme de l’enfer, le sein d’Abraham, la langue du riche, le doigt du pauvre, le supplice de la soif, la goutte d’eau rafraîchissante[6] ; la vérité peut sortir d’un paisible examen : elle ne jaillira jamais d’une controverse passionnée. Afin de ne pas nous laisser arrêter par une question aussi profonde et qui exigerait de longs développements, nous nous bornerons à cette simple réponse : si les âmes dégagées du corps peuvent être renfermées dans un lieu matériel, l’âme du bon larron a pu être admise dans le Paradis où le corps du premier homme fut introduit. Plus tard, s’il est nécessaire, nous trouverons dans quelque passage de l’Écriture une occasion plus favorable d’exprimer à ce sujet nos doutes ou notre sentiment.

10. Que la Sagesse n’ait rien de matériel et par conséquent qu’elle ne puisse être un arbre, c’est un point incontestable à mes yeux et qui, je crois, n’est mis en doute par personne : mais pour refuser d’admettre qu’un arbre ait pu dans un parc représenter la Sagesse sous un symbole mystérieux, il faut ou ne pas songer à tous les corps dont l’Écriture s’est servi pour figurer les choses spirituelles, ou soutenir que l’existence du premier homme a été incompatible avec un pareil mystère. Cependant l’Apôtre répète ces paroles prononcées par Adam sur la femme qui, selon notre croyance, fut tirée de son côté : « L’homme laissera son père et sa mère et s’attachera à sa femme ; et ils seront deux en une seule chair[7] » et il y voit : « un symbole auguste de l’union de Jésus-Christ avec son Église[8]. » N’est-ce pas une chose étrange, j’allais dire insoutenable, qu’on voie dans le Paradis une peinture allégorique et qu’on ne veuille pas y voir une réalité destinée à devenir une allégorie ? Si on admet, comme on le fait pour Agar et Sara, pour Ismaël et Isaac, qu’il y a dans cette création un fait historique aussi bien qu’une figure, pourquoi ne pas admettre que l’arbre de vie fut à la fois un arbre réel et un emblème de la Sagesse ? C’est ce que je ne saurais comprendre.

11. Il ne me coûte pas de dire encore que cet arbre mystérieux, tout en offrant à l’homme un aliment matériel, avait une vertu secrète et extraordinaire pour maintenir son corps dans la vigueur et la santé. A coup sûr, il s’ajoutait aux propriétés naturelles du pain une vertu particulière

  1. Exo. 12, 3-12
  2. Luc. 15, 23
  3. Gen. 28, 18
  4. Psa. 117, 22
  5. Luc. 23, 43
  6. Luc. 16,24
  7. Gen. 2, 24
  8. Eph. 5, 31-32