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quelle est, parmi les œuvres des six premiers jours, la substance où Dieu a créé la cause virtuelle de l’âme, puisqu’à ce moment il ne l’avait tirée ni du néant ni d’un être antérieur.

41. Si on répond, pour éviter cette difficulté, que l’homme fut formé du limon le sixième jour, et que cette formation n’a été rappelée plus tard que sous forme de résumé, qu’on songe aux expressions qui désignent là femme : « Il les créa mâle et femelle, et il les bénit[1]. » Si on prétend alors que la femme fut ce jour-là formée d’un os de l’homme : qu’on examine bien comment les oiseaux amenés devant Adam furent créés le sixième jour, afin de concilier cette opinion avec le témoignage où l’Écriture révèle que les oiseaux de toute espèce furent tirés des eaux le cinquième jour ; qu’on réfléchisse également aux arbres qui furent plantés dans le Paradis, quand cet ordre de création appartient au troisième jour, selon le témoignage de l’Écriture ; qu’on pèse bien ces paroles : « Dieu fit encore sortir de la terre toute espèce d’arbres beaux à la vue et qui offraient des fruits excellents à manger : » comme si les arbres sortis de la terre le troisième jour et compris dans les œuvres que Dieu jugea excellentes, n’avaient pas offert un spectacle et des aliments délicieux ! Qu’on pèse aussi ces expressions : « Dieu forma encore de la terre toutes les bêtes des champs et tous les oiseaux du ciel[2] » comme s’ils n’étaient pas du nombre de ceux qui avaient été créés, ou plutôt comme s’il n’en avait jamais existé auparavant ! Remarquez en effet que l’Écriture ne dit pas : Dieu forma de la terre d’autres bêtes des champs, d’autres oiseaux, afin de compléter le nombre des êtres sortis de la terre le sixième jour et des eaux le cinquième, non ; « Dieu forma toutes les bêtes, dit-elle, tous les oiseaux. » Qu’on examine encore l’ordre dans lequel Dieu fit toutes ses œuvres : le premier, jour, le jour lui-même ; le second, le firmament ; le troisième, la terre et la mer sous leurs formes distinctes, avec les arbres et les herbes ; le quatrième, les luminaires et les étoiles ; le cinquième, les animaux tirés des eaux ; le sixième, les animaux tirés de la terre ; puis, qu’on rapproche de cet ordre le passage suivant : « Lorsque le jour fut fait, Dieu fit le ciel et la terre avec toute la verdure des champs. » Mais quand Dieu fit le jour, il ne fit que le jour. De plus comment a-t-il fait toute la verdure des champs avant qu’elle fût sur la terre, toute l’herbe avant qu’elle poussât ? Comment ne pas croire en effet que l’herbe fut faite au moment qu’elle poussa et non avant d’être apparue sur la terre, si les paroles de l’Écriture ne s’opposaient à cette pensée si naturelle ? Qu’on se rappelle encore les paroles de l’Ecclésiastique : « Celui qui vit éternellement à tout créé à la fois[3] » et qu’on cherche à concilier avec la création simultanée une série de créations séparées par des intervalles de jours et non de minutes. Qu’on s’applique à prouver l’égale vérité de ces deux passages en apparence contradictoires, où la Genèse, d’une part, révèle que Dieu se reposa le, septième jour de toutes ses œuvres[4], et où l’Évangile, de l’autre, déclare par la bouche du Seigneur que Dieu agit encore aujourd’hui[5]. Enfin qu’on approfondisse en quel sens les mêmes œuvres sont à la fois complètes et inachevées.

42. C’est l’ensemble de ces témoignages de l’Écriture, dont fa véracité ne peut être suspecte qu’à un infidèle ou un impie, qui m’a conduit à l’opinion que j’ai exposée. Selon moi, Dieu à l’origine des siècles a créé tous les êtres à la fois, les uns réellement et en acte, les autres en puissance et dans leurs principes ; de même que dans sa toute-puissance il a créé non seulement les êtres, actuels mais encore les êtres à venir ; il s’est reposé de ce qu’il avait fait, afin de créer ensuite, en les gouvernant par sa providence, la suite régulière des temps et des générations : car, il avait achevé ses œuvres, au point de vue de la perfection des espèces, et il les avait commencées au point de vue de leur succession dans le temps ; ainsi, il s’est reposé en tant que la création était achevée, il agit encore en tant qu’elle est incomplète. A-t-on une opinion plus vraisemblable sur ces vérités ? Loin de la combattre, j’y applaudirai.

43. Quant à l’âme, dont Dieu anima l’homme en soufflant sur sa face, voici tout ce que j’en affirme : elle vient de Dieu, sans être de la même substance que lui ; elle est immatérielle, en d’autres tenues, elle n’est point corps mais esprit. Cet esprit n’est point engendré de la substance divine et n’en procède point : il n’est que l’ouvrage de Dieu. Grâce à ses facultés, il ne peut être la transformation d’un corps quel qu’il soit, ni d’un être dépourvu de raison ; par conséquent il a été tiré du néant. S’il est immortel d’après un mode d’existence qu’il ne peut perdre, on peut dire qu’il est périssable au point de vue des changements qui le dégradent ou l’élèvent : le seul

  1. Gen. 1, 26-28
  2. Id. 2, 19
  3. Sir. 18, 1
  4. Gen. 2, 2
  5. Jn. 5, 17