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tes innocents ou coupables dont il faudra rendre compte au tribunal de Dieu, quand chacun recevra ce qui est dû aux bonnes et aux mauvaises actions qu’il aura faites pendant qu’il était revêtu de son corps[1]. Et pourquoi dès lors ne pas admettre qu’elle soit descendue dans le corps sur l’ordre de Dieu, à la condition que, si elle y vivait suivant les commandements du Créateur, elle recevrait pour récompense la vie éternelle dans la société des Anges ; tandis qu’elle serait justement condamnée, si elle violait cette loi, à une longue peine ou même au supplice du feu éternel ? Comment croire que l’exécution de cet ordre de Dieu ait en principe constitué un acte vertueux et qui démentirait la parole suivant laquelle « ils n’avaient fait, avant leur naissance, ni bien ni mal ? »

CHAPITRE XXVI. L’ÂME VOLONTAIREMENT UNIE AU CORPS N’A-T-ELLE EU AUCUNE CONNAISSANCE DE L’AVENIR ? DU LIBRE ARBITRE.


37. S’il en est ainsi, nous reconnaîtrons que l’âme n’a point été initiée a son origine aux actes bons ou mauvais qu’elle accomplirait. Il serait trop étrange qu’elle se fût condamnée à vivre dans le corps, si elle avait prévu qu’elle y pourrait commettre des fautes dont la juste conséquence serait un supplice éternel. Le Créateur est loué avec raison de l’excellence de ses œuvres or, cette louange n’a pas seulement trait aux êtres à qui il a donné le privilège de la prescience ; elle s’applique à la création des brutes que l’homme surpasse en dignité, fût-il pécheur. L’homme tient de Dieu l’être, et non l’iniquité dans laquelle il s’engage en abusant du libre arbitre : toutefois, si ce don lui manquait, il aurait dans la nature un rang moins élevé. Que l’on considère un homme qui accomplit la justice sans connaître l’avenir : on sentira le faible obstacle qu’il trouve, à rendre sa vie juste et agréable à Dieu, dans l’ignorance oit la foi la condamne sur l’avenir, si sa volonté est pure et élevée. Ainsi on ne saurait nier la possibilité d’une telle âme sans se mettre en contradiction avec la bonté divine ; d’autre part, on ne saurait la soustraire à l’expiation que le péché entraîne sans être ennemi de la justice.

CHAPITRE XXVII. DU PENCHANT NATUREL QUI ATTACHE L’ÂME AU CORPS.


38. L’âme étant créée pour être envoyée dans un corps, on peut se demander si elle a obéi à une nécessité impérieuse. Mais il vaut mieux croire qu’elle a suivi un penchant naturel, en d’autres termes, qu’elle a l’instinct d’être unie à un corps, comme nous avons celui de vivre quant à l’inclination au mal, ce n’est plus une inclination de la nature, mais un désordre de la volonté qui appelle une juste punition.
39. Il est donc inutile de se demander quelle est la substance dont l’âme a été tirée, si l’on peut concevoir qu’elle appartient à l’ordre des œuvres primitives et créées avec le jour : elle fut créée avec elles et comme elles, sans avoir auparavant l’existence. Mais s’il y a eu antérieurement une substance matérielle et spirituelle susceptible de se développer, cette substance aurait été l’œuvre de celui qui a tout créé, et elle aurait précédé ses modifications en principe plutôt qu’en date, de la même manière que la voix précède le chant. Quant à la convenance de faire sortir l’âme de la substance immatérielle, pourrait-on ne pas la voir ?

CHAPITRE XXVIII. DES OBJECTIONS CONTRE L’OPINION SELON LAQUELLE L’ÂME ET LE CORPS D’ADAM ONT ÉTÉ SIMULTANÉMENT CRÉÉS.


40. Veut-on admettre que l’âme n’a été créée qu’au moment où le souffle de Dieu l’a unie au corps tout formé ? On fera bien de songer à la question que soulève l’origine même de l’âme. Répondra-t-on que Dieu a créé et crée encore quelque chose de rien après avoir achevé tous ses ouvrages ? Il faut alors se demander comment on expliquera que l’homme fat fait le sixième jour à filtrage de Dieu, ce qui ne peut s’entendre e que de l’âme ; en d’autres termes, dans quelle substance fut créée la cause virtuelle d’un être qui n’existait pas encore. Répondra-t-on qu’elle a été tirée, non du pur néant, mais d’un être préexistant ? On se tourmentera à chercher si cet être était corps ou esprit, on soulèvera toutes les questions que nous venons d’agiter, e t pour dernière difficulté, on aura encore à se demander

  1. 2 Cor. 5, 10