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à la substance divine. Quant aux termes pour la désigner, il n’y en a pas de plus convenable que celui d’esprit ou souffle de vie. J’ajoute le dernier mot, pour qu’on ne confonde pas le souffle immatériel qui nous anime avec le souffle de l’air. Encore arrive-t-il que dans la langue latine les mots anima et spiritus sont souvent synonymes, de sorte qu’il n’y a plus de terme spécial pour caractériser cette vie si distincte de celle des corps et de celle de Dieu, cette existence supérieure à celle du végétal par le don de la sensibilité, à celle de l’animal par le privilège de la raison, inférieure aujourd’hui à celle des Anges, mais capable de devenir aussi parfaite, si elle est conforme ici-bas aux commandements du Créateur.
31. Quand même on aurait des doutes sur l’origine de l’âme et qu’on agiterait encore la question de savoir si elle a été formée d’une substance primitive, si elle est comme un écoulement d’une nature parfaite et heureuse, enfin si elle a été formée de rien, il n’en existe pas moins une vérité incontestable : c’est que si elle a existé antérieurement dans une matière quelconque, cette matière à reçu de Dieu son existence, et qu’aujourd’hui l’âme est créée par Dieu pour devenir une âme vivante ; car, ou elle a été pur néant ou du moins elle n’a pas existé avec ses facultés actuelles. Mais il est temps de borner ici nos réflexions sur la substance primitive dont l’âme a pu se former.

CHAPITRE XXII. LA CAUSE VIRTUELLE DE L’ÂME A-T-ELLE ÉTÉ CRÉÉE DANS LA PÉRIODE DES SIX JOURS.


32. En admettant que l’âme n’ait pas été d’abord un être, il reste à examiner comment on pourrait concevoir que la cause virtuelle dont elle devait sortir ait été créée parmi les œuvres vies six, jours, quand Dieu forma l’homme à son image, formation qui ne peut s’entendre que de l’âme. En avançant que Dieu dans la création simultanée des êtres fit, non les substances qui devaient plus tard recevoir la vie, mais les causes virtuelles de leur existence, je dois craindre de passer pour ne dire que des mots vides de sens. Qu’est-ce donc que ces causes virtuelles qui permettent de dire que Dieu fit l’homme à son image, avant de lui avoir formé un corps du limon de la terre et de lui avoir insufflé une âme ? Si le corps a été contenu en puissance dans une cause mystérieuse, la matière dont il devait sortir était également préexistante, je veux dire la terre où cette cause a pu être enveloppée comme dans un germe. Mais comment concevoir qu’une cause primordiale dont l’âme, ou le souffle destiné à former l’âme, devait être le développement, ait été créée au moment où Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance » s’il n’existait aucune substance où pût être créé ce principe de l’âme, à qui seule s’appliquent évidemment ces expressions ?
33. Cette cause était-elle en Dieu, au lieu d’être déposée dans une substance ? Elle n’était donc pas encore créée. Alors pourquoi est-il écrit : « Dieu fit l’homme à l’image de Dieu[1] ? » Était-elle au contraire enveloppée dans une des substances que Dieu créa simultanément ? Quelle est cette substance ? Était-elle spirituelle ou matérielle ? Si elle était spirituelle, produisait-elle ses conséquences dans les corps qui composent le monde soit au ciel soit sur la terre ? Était-elle inactive avant la formation spéciale, de la nature humaine, de la même manière que chez un homme, déjà en possession de l’existence, la faculté de se reproduire reste ensevelie dans les profondeurs de l’organisme, avant de s’exercer par fanion des sexes ? L’être spirituel où elle était pour ainsi dire latente, ne produisait-il aucun acte d’après sa nature ? Puis, dans quel but aurait-elle été créée ? Était-ce pour renfermer en elle implicitement le principe de l’âme ou des âmes à venir, comme si elles n’avaient pu exister en elles-mêmes et qu’il leur fallût résider dans une créature déjà animée, au même titre que le principe de la génération ne peut se trouver que chez un être vivant et complètement organisé ? L’âme aurait donc pour mère une créature spirituelle, contenant en soi la cause destinée à la former, mais au moment seul où Dieu la créée pour l’insuffler à l’homme. Même dans le corps humain, aucun germe ne se féconde, aucun embryon ne se forme, sans avoir Dieu pour auteur, par l’action de cette sagesse qui dans sa pureté se répand partout, sans contracter aucune souillure[2], et dont la puissance s’étend à tout l’univers et dispose tout avec harmonie[3]. Mais je ne sais trop comment on pourrait concevoir qu’une créature spirituelle ait été faite uniquement dans ce but, sans avoir été citée parmi les œuvres des six jours ; il faudrait admettre que l’homme fut créé le sixième jour, quand loin d’être formé avec tous ses facultés naturelles, il n’existait encore

  1. Gen. 1, 26-27
  2. Sag. 7, 24-25
  3. Sag. 8, 1