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LE CHAPITRE XII. LA CRÉATION DE L’HOMME A-T-ELLE ÉTÉ SPÉCIALE !


20. Examinons maintenant comment Dieu forma l’homme. Traitons d’abord du corps qui fut tiré de la terre ; nous traiterons ensuite de l’âme, dans la mesure de nos forces. Il serait par trop naïf de s’imaginer que Dieu forma l’homme du limon de la terre en. le pétrissant avec des doigts : l’Écriture eût-elle employé cette expression, nous devrions croire que l’écrivain sacré s’est servi d’une métaphore, plutôt que de nous figurer Dieu limité par des organes semblables aux nôtres. S’il est écrit : « Votre main a dispersé les nations [1] » et ailleurs : « Vous avez délivré votre peuple avec une main puissante et un bras étendu[2] » ce n’est là qu’un symbole pour peindre la puissance et la grandeur de Dieu ; n’y aurait-il pas folie à ne point le comprendre ?
21. On ne doit pas non plus croire avec quelques personnes que l’homme est le principal ouvrage de Dieu parce qu’il commanda pour créer les autres êtres, tandis que lui-même fit l’homme : la véritable raison est qu’il le fit à son image. Les expressions : « Il dit et les choses furent[3] » révèlent que le monde fut créé par le Verbe, autant que cette vérité peut être représentée à l’homme par l’entremise d’un homme et au moyen de paroles qui exigent du temps pour se concevoir et se produire. Or, Dieu ne parle ainsi que lorsqu’il emploie un organe, comme il fit en parlant à Abraham et à Moïse ; ou une nuée, comme il fit en proclamant le nom de son Fils. Mais ce fut antérieurement à toutes les créatures, et pour les tirer du néant, que cette parole fut prononcée dans le Verbe qui « au commencement était en Dieu et Dieu lui-même » et comme « tout a été fait par le Verbe et que rien n’a été fait sans lui[4] » l’homme a été également fait par le Verbe. Assurément il a fait le ciel par sa parole : « il dit, et il fut fait. » Cependant il a été écrit : « Les cieux sont les ouvrages de vos mains[5]. » Il est également écrit de cette région qui est comme le fond de l’univers : « La mer est à lui, il l’a faite lui-même, et ses mains ont façonné la terre[6]. » Qu’on ne croie donc pas que ce passage de l’Écriture ait trait à la grandeur de l’homme, comme si Dieu eût fait l’homme, tandis qu’il commandait au reste de se former, ou qu’il eût fait tous les êtres avec sa parole, tandis qu’il façonnait l’homme de ses mains. La supériorité de l’homme ne consiste que dans le don de la raison qui l’élève au-dessus des animaux, comme nous l’avons vu déjà. Et quand l’homme ne comprend pas le rang qu’il occupe et sa dignité qui consiste à bien agir, il tombe au rang des bêtes. « L’homme, placé à un si haut rang, ne l’a point compris : il s’est comparé aux animaux sans raison et leur est devenu tout semblable[7]. » Dieu a bien fait les animaux, mais il ne les a pas faits à son image.
22. Il ne faut donc pas dire : Dieu a fait l’homme, tandis qu’il a commandé aux animaux de se former ; car, Dieu a fait ces deux espèces de créature par son Verbe, l’auteur de tout. Seulement, comme le Verbe de Dieu est aussi sa sagesse et sa puissance, le bras est ici non un membre, mais l’emblème de la puissance créatrice. Aussi l’Écriture, après avoir dit que Dieu façonna l’homme avec le limon de la terre, emploie-t-elle la même expression pour les animaux que Dieu fit venir avec les oiseaux devant Adam. Voici ses termes : « Dieu façonna encore toutes les bêtes avec la terre[8]. » Si donc l’homme a été formé de la terre comme le reste des animaux, quel est son titre de supériorité sinon sa ressemblance avec Dieu ? Cette ressemblance ne consiste pas dans la forme du corps, mais dans l’intelligence, comme nous le verrons bientôt ; toutefois le corps même révèle cette prérogative par son attitude ; elle indique assez que l’homme ne doit point s’attacher aux choses terrestres comme font les animaux qui, demandant tous leurs plaisirs à la terre, sont penchés et pour ainsi dire affaissés sur leur ventre. Il y a donc entre le corps et l’âme raisonnable, chez l’homme, une analogie qui ne vient pas de la disposition et de la forme des organes, mais de l’attitude même qui lui fait diriger ses regards vers le ciel pour y contempler les régions les plus élevées du monde ; de la même manière, lame doit aspirer aux choses les plus hautes dans l’ordre spirituel, afin de n’avoir de goût que pour les choses du ciel, et non pour celles de la terre[9].

CHAPITRE XIII. DE L’AGE ET DE LA TAILLE D’ADAM, QUAND IL FUT FORMÉ.


23. Quel était l’homme, quand Dieu le forma du limon de la terre ? fut-il créé tout d’un coup

  1. Ps. 43, 3
  2. Id. 135, 11-12
  3. Id. 148, 5
  4. Jn. 1, 3
  5. Ps. 101, 26
  6. Id. 94, 5
  7. Ps. 48, 13
  8. Gen. 1, 26
  9. Col. 3, 2