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toutes ces idées ? S’il en est ainsi, la simultanéité ne saurait détruire l’ordre qui enchaîne les causes aux effets. Car la connaissance ne peut avoir lieu sans que l’objet à connaître ne préexiste : seulement, tout existe dans le Verbe, l’auteur de tout, avant d’exister en soi. Aussi l’esprit humain, part de la réalité que lui livrent les sens et en acquiert l’idée dans les limites de sa faiblesse : de là, il passe à la recherche des causes ; il essaie de rencontrer jusqu’aux principes éternels et absolus qui subsistent dans le Verbe de Dieu et d’apercevoir dans ses œuvres ses attributs invisibles[1]. Que de peines dans cette recherche, que de difficultés !, que de temps fait perdre ce corps périssable qui alourdit l’âme[2], même chez ceux qu’un divin enthousiasme emporte sans trêve ni repos vers ces vérités sublimes ! Personne ne l’ignore. Mais l’ange, attaché au Verbe de Dieu par l’amour le plus pur, ayant été créé le premier, vit les êtres dans le Verbe avant de les connaître dans la nature : les êtres apparurent dans son intelligence au commandement de Dieu, avant d’exister sous leurs formes réelles ; enfin, lorsqu’ils eurent été créés, il les vit en eux-mêmes, et cette notion d’un ordre inférieur s’appela le soir. Assurément les œuvres se faisaient avant d’être connues : car un objet ne peut être connu s’il n’existe pas déjà. Ajoutez que si les anges se fussent complu en eux-mêmes, au lieu de trouver leur félicité dans le Créateur, le matin n’aurait pas eu lieu, puisqu’ils ne seraient pas sortis du théâtre de leur conscience pour s’élever jusqu’à louer Dieu. Mais le matin se leva, il y eut un ouvrage à composer et à connaître, quand se fit entendre le commandement du Créateur ; cet ouvrage fut d’abord connu des anges et se réalisa dans leur intelligence, puisque l’Écriture ajoute : « et cela se fit » il fallut enfin qu’il se réalisât en lui-même, pour être connu le soir qui suivit.
50. Lors même que le temps ne se succéderait pas avec ses diverses époques pour les anges, il n’en faut pas moins admettre la préexistence du type de la créature dans le Verbe de Dieu, quand se fit entendre le commandement : « Que la lumière soit. » Cette parole fut suivie de la lumière, dont, f esprit des anges fut formé : ils reçurent ainsi leur être, sans qu’il eût été reproduit dans ale autre intelligence ; aussi l’Écriture ne dit-elle point ici, comme ailleurs : et cela se fit, et Dieu fit la lumière. La création de la lumière suivit immédiatement la parole du Verbe ; la lumière créée s’attacha aussitôt à la lumière créatrice ; elle la vit et s’y vit elle-même,' en d’autres termes, elle vit le principe de son existence. Elle se vit aussi en elle-même, c’est-à-dire qu’elle reconnut la distance infranchissable qui séparait la créature du Créateur. Lors donc que Dieu eut approuvé son ouvrage et en eut vu l’excellence, qu’il eut séparé la lumière d’avec les ténèbres et nommé la lumière jour, les ténèbres nuit, le soir se fit : il fallait, en effet, que la créature se connût en elle-même et se distinguât d’avec son Créateur ; le matin apparut ensuite, pour révéler le second ouvrage du Verbe, le firmament : il fut connu des anges avant sa formation, puis il leur apparut dans sa réalité. Aussi est-il écrit : « Dieu dit, que le firmament se fasse ; et il fut fait ». mais dans la connaissance que les anges eurent de sa création, avant qu’elle fût accomplie. Puis on ajoute : « Et Dieu fit le firmament » en d’autres termes, le firmament sous sa forme actuelle, et la connaissance de ces ouvrages, inférieure à sa vision en Dieu, fut une sorte de crépuscule. Il en fut ainsi jusqu’au moment où s’acheva la création et où commença le repos divin qui n’admet pas de soir, parce qu’il n’est point une création dont l’idée pouvait se dédoubler en quelque sorte, préexistante et plus pure dans le Verbe, où elle aurait eu l’éclat du jour, postérieure et plus obscure en elle-même, où elle n’aurait plus eu que la pâle clarté du soir.

CHAPITRE XXXIII. LA CRÉATION A-T-ELLE ÉTÉ SIMULTANÉE OU SUCCESSIVE


51. Mais si on admet que l’intelligence est assez puissante chez les anges pour embrasser à la fois la série des causes et des effets qu’analyse le langage humain, ne doit-on pas reconnaître que les œuvres divines, le firmament, l’agglomération des eaux, la terre nue, le ##Rem jet des arbres, et des végétaux, la formation des luminaires et des étoiles, la création des êtres qui se meuvent sur la terre et dans les eaux, tout a été créé du même coup ? Chaque ouvrage a-t-il une date marquée dans la période des six jours, ou plutôt, faudrait-il cesser de comparer aux mouvements de la nature, tels que les révèle l’expérience, les lois établies à l’origine du monde, et concevoir les révolutions primitives d’après la puissance infinie, ineffable de la Sagesse de Dieu, dont l’activité s’étend d’un bout du monde à l’autre et dispose

  1. Rom. 1, 20
  2. Sag. 9, 15