Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IV.djvu/196

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peine. C’est ce qui doit être pour l’homme aussi, et nous en trouvons la preuve dans l’Évangile où le Sauveur y déclare que Marie, se tenant assise à ses pieds pour écouter sa parole, a choisi une meilleure part que Marthe, malgré son empressement à le servir et le pieux embarras qu’elle se donnait[1]. Mais il est bien difficile de concevoir ceci quand il s’agit.de Dieu, lors même qu’on soupçonnerait à force de réfléchir pourquoi il a sanctifié le jour de son repos, lui qui n’a sanctifié aucun jour de la création, pas même celui où il fit l’homme et où il acheva toutes ses œuvres. Et d’abord quelle idée l’esprit humain avec toutes ses lumières peut-il se former du repos de Dieu ? Cependant, si la chose n’existait pas, l’Écriture n’en prononcerait pas le mot. Je vais dire ce que je pense, en faisant une double réserve : d’abord que Dieu n’a point goûté un repos pareil à celui qui succède agréablement à la fatigue ou qu’un long travail fait souhaiter ; ensuite que les saints livres, dont l’autorité s’impose à l’esprit, n’ont pu avancer sans raison ou à tort que Dieu se reposa le septième jour de toutes les œuvres qu’il avait faites et le sanctifia.

CHAPITRE XV. RÉPONSE À LA QUESTION POSÉE CI-DESSUS.

26. Comme l’âme humaine a le défaut et la faiblesse de s’attacher si vivement à ses œuvres, qu’elle y cherche le repos plutôt qu’en elle-même, quoique la cause soit nécessairement supérieure aux effets, Dieu nous apprend, par ce passage de l’Écriture, qu’il n’a composé aucun de ses ouvrages avec un plaisir capable de faire supposer que la création était pour lui une nécessité, ou que sans elle il aurait eu moins de grandeur et de félicité. En effet, toute créature lui doit son être, mais il ne doit sa félicité à aucune ; il a tout dirigé par un pur effet de sa bonté : aussi n’a-t-il sanctifié ni le jour où il commença ses ouvrages, ni celui où il les acheva, afin que sa félicité ne semblât pas s’accroître du plaisir de les former et de les voir dans leur perfection ; il n’a sanctifié que le jour où il s’est reposé de ses œuvres en lui-même. Il n’a jamais eu besoin du repos, mais il nous en a révélé le bienfait dans le mystère du septième jour ; il nous a encore enseigné qu’il fallait être parfaits pour le goûter, par le choix même qu’il a fait du jour qui suivit l’achèvement de la création universelle. L’être qui jouit du repos absolu n’a pu se reposer que pour nous donner un enseignement.

CHAPITRE XVI. DU REPOS DE DIEU LE SEPTIÈME JOUR.

27. Remarquons qu’en nous révélant le repos qui assure à Dieu sa félicité en lui-même, il fallait nous faire concevoir à quel titre on dit que Dieu se repose en nous-mêmes : cette parole signifie que Dieu nous assure le repos en lui-même. Pour en donner donc une juste définition, le repos de Dieu implique qu’il ne manque d’aucun bien : par conséquent nous sommes assurés de trouver le repos en lui, parce que le bien essentiel à Dieu fait notre bonheur et que sa félicité est indépendante du bien qui est en nous. Nous représentons en effet quelque bien, puisque nous sommes au nombre des œuvres qu’il a faites excellentes. Or nul être n’est bon en dehors de lui, sans qu’il ne l’ait créé, et par suite, il n’a besoin en dehors de lui d’aucun bien, puisqu’il ne peut avoir besoin du bien même qu’il a créé. Voilà en quoi consiste le repos de Dieu après l’achèvement de ses œuvres. N’eût-il rien créé, quel est le bien qui lui manquerait véritablement ? Qu’il se repose de ses œuvres en lui-même, ou qu’il ne crée rien, il n’en est pas moins le bien absolu. Mais s’il n’avait pu composer des ouvrages excellents, il aurait été impuissant ; si malgré sa puissance il ne l’avait pas voulu, il aurait été jaloux de son être. Comme il joint la toute-puissance à la bonté infinie, il a fait toutes ses œuvres excellentes ; et comme il trouve en lui le bien absolu et la félicité parfaite, il s’est reposé en lui-même de ce repos dont il n’est jamais sorti. Dites qu’il s’est reposé de ses œuvres à faire, on comprendra qu’il n’a jamais rien fait. Dites qu’il ne s’est pas reposé de ses œuvres accomplies, on ne comprendra plus aussi clairement qu’il n’a aucun besoin de ses créatures.

28. Or quel jour pouvait mieux que le septième nous révéler cette vérité ? C’est-ce qu’on voit aisément en se rappelant les propriétés du nombre 6, dont la perfection a servi de type à la perfection des ouvrages divins. Supposez que la création devait être, comme elle l’a été, modelée sur l’ordre même des éléments qui composent le nombre 6, et qu’on voulait nous révéler le repos de Dieu, en vue de nous convaincre que la créature même parfaite n’ajoute rien à sa félicité : le jour qu’il fallait sanctifier dans ce but devait nécessairement suivre le sixième afin de

  1. Lc. 10, 39-42