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CHAPITRE III. EXPLICATION DU PASSAGE DE LA : SAGESSE : « DIEU A TOUT DISPOSÉ AVEC POIDS, NOMBRE ET MESURE. »


7. En voyant donc que Dieu a employé six jours pour achever toutes ses œuvres, et que la suite de ses créations répond à la série même des nombres dont la somme est égala au nombre parfait 6, songeons au passage où l’Écriture dit de Dieu : « Vous avez tout disposé avec poids, nombre et mesure[1]. » que notre âme, après avoir appelé Dieu à son aide et sous son inspiration, considère si ces trois idées de mesure, de nombre et de poids, d’après lesquelles Dieu a tout disposé, étaient quelque part avant la création de l’univers ou si elles-mêmes ont été créées. Si elles sont antérieures au monde, où étaient-elles ? Avant la création, il n’y avait que le Créateur : elles étaient donc en lui, mais de quelle manière ? car, nous lisons dans l’Écriture que les choses créées sont également en lui[2]. Est-ce que les unes sont Dieu même, tandis que les autres y subsistent comme dans le principe qui les gouverne ? Mais comment peuvent-elles être Dieu même ? Dieu n’est assurément ni mesure, ni nombre, ni poids, par plus qu’il n’est le monde. Faut-il dire que ces idées ne sont point Dieu, en tant qu’elles nous apparaissent dans les objets, dont nous apprécions les dimensions, la symétrie, la pesanteur ; qu’au contraire, en tant qu’elles maintiennent en toute chose la juste mesure, l’harmonie, l’équilibre, elles sont primitivement et par essence Celui qui donne à tous ses limites, ses formes, ses lois ? Le passage de la Sagesse : « Vous avez tout disposé avec poids, nombre et mesure,» n’est-il que l’expression, la plus vive de cette vérité vous avez tout disposé en vous ? C’est par un vigoureux effort et dont peu d’esprits sont capables, qu’on peut s’élever au-dessus de tous les objets qui se mesurent ; se comptent et se pèsent, et atteindre la mesure en dehors de la mesure, le nombre en dehors du nombre, le poids en dehors du poids.

CHAPITRE IV. EN DIEU LA MESURE, LE NOMBRE, LE POIDS SUBSISTENT INDÉPENDAMMENT DU NOMBRE, DU POIDS, DE LA MESURE.


8. En effet, la mesure, le nombre, le poids ne sont pas seulement des propriétés inhérentes aux pierres, au bois, et en général aux corps que l’on peut observer ou concevoir sur la terre ou dans le ciel. Les actes moraux admettent une juste mesure, qui les empêche d’aboutir à des excès sans bornes et sans retour ; les sentiments et les vertus sont susceptibles d’une harmonie ou d’un nombre, qui bannit de l’âme le désordre des passions et y fait régner la sagesse dans toute sa beauté ; la volonté et l’amour ont comme une balance qui, par leurs désirs ou leurs répugnances, leurs préférences ou leurs dégoûts, marque le prix des objets. Mais dans les âmes une mesure est remplacée par une autre, un nombre est limité par un autre, un poids a son contrepoids. Or, la mesure indépendante de toute mesure, est adéquate à elle-même et ne suppose qu’elle-même ; le nombre indépendant de tout nombre, forme tous les autres sans être formé par aucun ; le poids absolu est le centre où tout aboutit pour y trouver l’équilibre, et ce repos est la joie inaltérable.
9. Si on ne voit ces idées que dans la nature physique, on les voit en esclave des sens. Qu’on s’élève donc au-dessus de ces perceptions sensibles, ou si on est encore incapable de ces efforts, qu’on ne s’attache plus à des mots qui n’inspirent que des idées grossières. Les vérités supérieures plaisent d’autant mieux qu’on considère moins les vérités subalternes avec les yeux du corps. Si on ne veut pas épurer les termes dont un usage vulgaire et grossier a fait connaître le sens et les appliquer aux vérités sublimes dont la contemplation élève l’âme, soit ; toute exhortation serait inutile. Pourvu qu’on ait l’idée, peu importe le mot qui l’exprime. Il est bon toutefois de connaître les rapports qui lient les vérités contingentes aux vérités absolues : c’est la seule méthode qui permette à la raison de passer d’un sujet à un autre.
10. Veut-on regarder comme des choses contingentes la mesure, le nombre, le poids, qui ont servi à Dieu pour tout disposer, au témoignage de l’Écriture ? Mais s’il s’en est servi pour disposer le monde, avec quoi a-t-il disposé ces rapports

  1. Sag. 11, 2
  2. Rom. 11, 36