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conscience de son Créateur. De même que l’homme après sa chute se renouvelle selon l’image de Celui qui l’a créé, par la connaissance de la vérité ; de même il fut créé par la connaissance même qu’il eut de son Créateur, avant de tomber, par l’effet du péché, dans la dégradation d’où la même lumière devait le tirer en le renouvelant. Quant aux êtres à qui cette révélation a été refusée, parce qu’ils étaient tout matériels ou avaient la vie sans la raison, leur, existence a d’abord été révélée à la créature intelligente par le Verbe qui leur commandait de se produire, et c’est pour montrer que le dessein du Verbe était connu de cette créature, qui avait le privilège de le découvrir la première, qu’il a été dit : « Et cela fut fait » puis les corps, les animaux dépourvus de raison, se formèrent : c’est dans ce sens qu’on ajoute les paroles : « Dieu fit donc » telle ou telle œuvre.

CHAPITRE XXI. DIFFICULTÉ DE CONCEVOIR L’IMMORTALITÉ JOINTE A LA NÉCESSITÉ DE SE NOURRIR.


33. Par quel mystère l’homme a-t-il été créé immortel et tout ensemble a-t-il reçu l’ordre de se nourrir, comme les autres animaux, d’herbes portant semence, d’arbres fruitiers, de végétaux ? Si le péché seul lui a enlevé sa prérogative, il n’avait pas besoin de pareils aliments dans l’état d’innocence, la faim était incapable d’épuiser ses organes. On pourrait encore remarquer que l’ordre de croître, de se multiplier et de remplir la terre, ne pouvait guère s’exécuter que par l’union de l’homme et de la femme, et que cette union supposait des corps mortels. Cependant il n’y aurait aucune invraisemblance à dire que des corps immortels pouvaient se reproduire par un pur sentiment de pieuse tendresse, en dehors de la corruption de la concupiscence, sans que les enfants dussent remplacer leurs parents morts ou mourir eux-mêmes ; qu’ainsi la terre se serait remplie d’hommes immortels, et qu’elle aurait vu naître un peuple de saints et de justes, semblable à celui qui, selon la foi, paraîtra après la résurrection. Cette opinion peut se soutenir, nous verrons, bientôt comment ; mais il y aurait trop de hardiesse à prétendre qu’un organisme peut avoir besoin d’aliments pour se réparer sans être condamné à périr.

CHAPITRE XXII. DE L’OPINION QUI RAPPORTE LA CRÉATION DU CORPS ET DE L’ÂME A DEUX MOMENTS DISTINCTS.


34. Quelques personnes ont pensé que l’homme intérieur pourrait bien avoir été créé d’abord et qu’il ne reçut un corps qu’au moment où, selon l’Écriture, « Dieu façonna l’homme du limon de la terre. » De la sorte, le mot créer aurait rapport à l’âme, le mot façonner au corps. Mais on ne réfléchit pas que l’homme fut créé mâle et femelle, et que l’âme n’a pas de sexe. On a beau soutenir fort subtilement que l’intelligence, qui forme le trait de ressemblance entre Dieu et l’homme, est au fond la vie raisonnable, avec la double fonction de contempler l’éternelle vérité et de régler les choses temporelles, et qu’on retrouve ainsi l’homme dans la faculté maîtresse, la femme, dans la matière obéissante ; cette distinction supprime la ressemblance de l’homme avec Dieu, ou ne la laisse subsister que dans la faculté de contempler la vérité. L’Apôtre a représenté ce rapport entre deux sexes : « L’homme, dit-il, est l’image et la gloire de Dieu, la femme est la gloire de l’homme[1]. » Il est bien vrai que les facultés qui constituent l’homme intérieur ont pris au-dehors la double forme qui caractérise l’homme d’après les sexes ; mais la femme n’est telle que par son organisation : elle se renouvelle dans l’intérieur de son âme, par la connaissance de Dieu, selon l’image de son Créateur, et le sexe n’a aucun rapport avec cette régénération. Par conséquent, de même que 1e femme est indistinctement appelée avec l’homme à la grâce de se régénérer et de reformer en elle l’image du Créateur, et que son organisation spéciale seule l’empêche d’être proclamée, comme l’homme, l’image et la gloire de Dieu ; de même, aux premiers jours de la création, elle avait la prérogative de la nature humaine, l’intelligence, et, à ce titre, avait été faite à l’image de Dieu. C’est pour marquer le rapport qui unit les deux sexes que l’Écriture dit : « Dieu fit l’homme à l’image de Dieu. » Et de peur qu’on ne vit dans cet acte que la création de l’intelligence, formée seule à l’image de Dieu, elle ajoute « Il le fit mâle et femelle » ce qui implique

  1. 1 Cor. 11, 7