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illumine tous les hommes, mais celle dont on a pu dire : « la sagesse est la première chose qui ait été créée[1]. » En effet, quand la Sagesse engendrée, quoique incréée, éternelle, immuable, se répand dans les créatures intelligentes comme dans des âmes saintes[2], afin de les illuminer de ses rayons, il se produit en elles une clarté d’esprit qui pourrait bien ressembler à celle que Dieu créa, en disant : « Que la lumière soit. » Dans ce cas, il aurait alors existé une création spirituelle, que désignerait le mot ciel dans ce passage : « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre » non le ciel visible, mais le ciel immatériel qui s’élève au-dessus du ciel visible, je veux dire au-dessus de tous les corps, non par son élévation dans l’espace, mais par l’excellence de sa nature. Comment a pu être produite cette création en même temps que les clartés qui l’illuminent ? et comment le récit a-t-il dû exposer séparément cet acte indivisible ? Nous venons de l’expliquer à propos de la matière [3].
33. Mais comment comprendre, dans cette hypothèse, que la nuit succéda à la lumière, pour amener le soir ? Quelles sont les ténèbres dont Dieu sépara cette lumière immatérielle, puisque l’Écriture dit : « Et Dieu sépara la lumière d’avec les ténèbres ? » Serait-ce qu’il existait déjà des pécheurs, des esprits insensés qui renonçaient aux clartés du vrai et que Dieu séparait des esprits fidèles, comme les ténèbres de la lumière ? En donnant à la lainière lie nom de jour, aux ténèbres celui de nuit, voulait-il montrer qu’il n’est pas l’auteur des péchés, mais le juste rémunérateur des mérites ? Le jour désignerait-il ici la durée, en sorte que la suite des siècles serait tout entière renfermée dans ce mot ? Aurait-il été appelé pour cette raison un jour et non le premier jour ? « Et il y eut un soir, dit l’Écriture, puis un matin, un jour entier. » Le soir signifierait alors le péché de la créature raisonnable, le matin, sa rénovation.
34. Cette discussion repose sur une allégorie prophétique, et par conséquent est ; étrangère au plan de cet ouvrage. Notre but, en effet, est d’y interpréter l’Écriture en nous attachant moins au symbole qu’à la lettre. Or, à ne considérer clans les êtres créés que leurs propriétés naturelles, comment découvrir dans une lumière immatérielle le soir et le matin ? La séparation de la lumière d’avec les, ténèbres n’implique-t-elle qu’une distinction métaphysique entre la substance et le mode ? La dénomination de jour et de nuit ne sert-elle qu’à exprimer la loi d’après laquelle Dieu ne laisse aucune de ses œuvres en désordre, et règle jusqu’à l’état imparfait d’où partent les êtres, pour accomplir la série de leurs transformations ? Signifie-t-elle que le mouvement qui tour-à-tour épuise et renouvelle les générations dans le temps, concourt à l’harmonie universelle ? La nuit n’est que l’ordre dans les ténèbres.
33. Voilà pourquoi on dit immédiatement après la création de la lumière : « Dieu vit que la lumière était bonne. » On aurait pu répéter ces paroles après chaque œuvre de ce jour ; en d’autres termes : après avoir exposé comment Dieu fit la lumière, comment il sépara la lumière d’avec les ténèbres, comment il appela la lumière jour et les ténèbres nuit, on aurait pu ajouter successivement : « Dieu vit que cela était bien » et terminer par ces mots : « Il y eut un soir et matin » comme on l’a fait pour toutes les œuvres auxquelles Dieu a donné un nom. Si on n’a point suivi cette marche, c’est qu’on voulait distinguer de l’être formé la matière imparfaite, et révéler que, loin d’avoir acquis son, point de perfection, elle devait servir à façonner de nouveaux êtres dans l’ordre physique. Si donc on eût ajouté, après avoir établi cette distinction et ces dénominations : « Dieu vit que cela était bon » on nous aurait fait entendre que ces œuvres étaient achevées et complètes dans leur genre. La lumière seule étant une œuvre achevée : « Dieu, dit l’Écriture, vit que la lumière était bonne » et il la sépara de fait comme de nom d’avec les ténèbres. Cette opération ne fut point consacrée par l’approbation divine ; la contusion en effet ne cessait qu’autant qu’il le fallait pour produire un nouvel ordre de choses. La nuit, que nous connaissons si bien maintenant, grâce à la révolution du soleil autour de la terre, ne plaît à Dieu qu’au moment où la disposition de luminaires dans le ciel la distingue du jour, la division du jour et de la nuit est en effet suivie alors de ces paroles : « Dieu vit que cela était bien. » La nuit n’était pas alors – une substance imparfaite destinée à en produire d’autres : c’était l’air dans l’espace, sans la lumière du jour, un phénomène complet dans son genre et qui ne pouvait devenir ni plus parfait ni mieux accusé. Quant au soir durant les trois jours qui ont précédé

  1. Sir. 1, 4
  2. Sag. 7, 47
  3. Ci-dessus, ch. XV