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le lieu où elles se réunirent, afin de laisser la terre à sec ? Furent-elles soulevées dans l’espace, à peu près comme une moisson qu’on bat dans l’aire et qui, portée sur le vent, s’amoncelle en un tas et laisse à découvert le sol qu’elle cachait auparavant ? Mais comment ne pas renoncer à cette pensée, envoyant la mer former une vaste plaine et, après les tempêtes qui élèvent ses flots comme des montagnes, redevenir unie comme une glace ? Il arrive que la mer découvre un peu au loin ses rivages ; mais on ne saurait nier qu’en se retirant d’un côté, elle ne s’étende d’un autre et qu’elle ne revienne sur les bords qu’elle a quittés. Où donc la mer pouvait-elle se retirer, pour laisser apparaître les continents, puisque les flots couvraient toute la surface de la terre ? L’eau qui couvrait le globe, aurait-elle été comme une légère vapeur, et, en se condensant pour former un amas, aurait-elle laissé en différents endroits le sol à découvert ? On pourrait dire encore que la terre, s’abaissant en larges et profondes vallées, put offrir de vastes réservoirs où les flots amoncelés se précipitèrent, et qu’ainsi le sol apparut aux endroits abandonnés par les eaux.

CHAPITRE XIII. A QUEL MOMENT ONT ÉTÉ CRÉÉES L’EAU ET LA TERRE.



27. La matière n’est pas absolument sans forme, lors même qu’elle s’offre sous l’apparence d’une masse sombre. Aussi peut-on se demander à quelle époque Dieu donna aux eaux et à la terre les formes qui les distinguent, création dont il n’est pas parlé dans la période des six jours. Supposons un moment que cette œuvre ait précédé l’origine du jour, et que ce soit elle dont parle l’Écriture quand elle dit avant les six premiers jours : « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre » que le mot terre désigne ici la terre même avec ses propriétés spécifiques, ensevelie encore sous les eaux qui déjà apparaissent avec leur forme déterminée ; que, dans ces paroles : « La terre était invisible et sans ordre, et les ténèbres étaient sur l’abîme, et l’Esprit de Dieu était porté sur les eaux » on doive voir, non la matière imparfaite, mais la terre et l’eau avec leurs propriétés les plus connues, au moment où elles n’étaient point encore éclairées par la lumière ; que, par conséquent, la terre fut appelée invisible, parce qu’elle était ensevelie sous les eaux et qu’elle ne pouvait être aperçue, eût-il même existé alors un être capable de la voir ; sans ordre, parce qu’elle n’était encore ni séparée de la mer, ni limitée par ses rivages, ni peuplée d’animaux ; alors, pourquoi ces propriétés, qui sont physiques sans aucun doute, ont-elles été créées antérieurement aux jours ? Pourquoi n’a-t-il pas été écrit : Dieu dit : que la terre soit, et la terre fut faite, que l’eau soit, et l’eau fut faite ? ou bien, en embrassant dans une même parole deux éléments, placés sous une loi commune dans les régions inférieures,, de l’espace : que l’eau et la terre soient faites, et il en fut ainsi ?

CHAPITRE XIV. CE QUI FAIT ENTENDRE, DANS LE PREMIER VERSET DE LA GENÈSE, QUE LA MATIÈRE ÉTAIT INFORME.



28. Pourquoi enfin n’a-t-on pas ajouté immédiatement ces paroles : Dieu vit que cela était bien ? Si l’on y réfléchit, on se convaincra que, pour tout être qui change, le progrès suppose l’imperfection ; que dès lors, comme l’enseigne la foi catholique unie à une logique invincible, aucun être n’aurait pu exister, si le Dieu qui crée et organise toute chose sous sa forme achevée, ou perfectible ; qui comme dit l’Écriture « a fait le monde d’une matière informe[1] » n’eût créé le fond même des êtres, tel que l’Écriture le définit en termes assez clairs pour être entendus des oreilles comme des intelligences les plus rebelles, lorsqu’elle nous représente qu’avant la période des six jours « Dieu fit au commencement le ciel et la terre » et le reste jusqu’au passage : « Dieu dit : que la lumière soit » car c’est alors seulement qu’elle nous révèle dans quel ordre se formèrent successivement les choses.

CHAPITRE XV. LA SUBSTANCE PRÉCÈDE LE MODE, NON EN DATE, MAIS EN PRINCIPE.



29. Je ne veux pas dire que la matière sans ses qualités existe antérieurement à l’être tout formé, puisque la substance et ses modes ont été créés simultanément. Par exemple, les sons constituent le fond des mots, les mots représentent

  1. Sag. 11, 18