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de traiter. Maintenant, si tu te troublais de ce que l’enseignement sacré du Christ nous a fait admettre comme un point de foi que Dieu est le Père de la Sagesse, rappelle-toi que nous admettons aussi par la foi que la Sagesse engendrée du Père éternel est égale à lui. Ainsi il n’y a rien à discuter ici, mais c’est un article de foi inébranlable. Dieu est, et il est vraiment et souverainement. Et il me semble que ce n’est plus seulement la foi qui nous le fait tenir comme indubitable, mais que nous le comprenons aussi sûrement quoique bien faiblement. Or, cela suffit pour la question proposée, et nous pouvons développer le reste de notre thème, à moins que tu n’aies quelque objection à faire. — E. Je suis inondé d’une joie vraiment incroyable, en écoutant ce que tu me dis, et je ne pourrais l’exprimer en paroles ; mais je proclame la certitude parfaite de tes raisonnements. Je la proclame au dedans de moi-même, et en poussant ce cri, que je désire être entendu de la Vérité elle-même, comme je désire m’attacher à elle. Et j’accorde qu’elle est, non-seulement un bien, mais le souverain bien, et celui qui donne le vrai bonheur. 40. A. Très-bien ! et je m’en réjouis beaucoup moi-même. Mais, dis-moi, sommes-nous dès maintenant sages et heureux ? ou marchons-nous encore vers ce but que nous devons atteindre ? — E. J’incline à croire que nous y tendons encore. — A. D’où vient alors que tu saisis ces vérités et ces certitudes, où tu proclames trouver ta joie, et comment admets-tu qu’elles font partie de la sagesse ? Est-ce qu’un insensé peut connaître la sagesse ? — E. Tant qu’il est insensé, il ne le peut. — A. Donc, ou déjà tu es sage, ou tu ne connais pas encore la sagesse. — E. Je ne suis pas encore sage, et je ne voudrais plus me dire insensé, en tant que je connais la sagesse, puisque les choses que je connais sont certaines, et que je ne puis nier qu’elles fassent partie de la sagesse. — A. Dis-moi donc, je te prie, refuseras-tu de reconnaître que celui qui n’est pas juste, est injuste, que celui qui n’est pas prudent est imprudent, celui qui n’est pas tempérant, intempérant ? Cela laisse-t-il l’ombre d’un doute ? — E. J’avoue que, tant qu’un homme n’est pas juste, il est injuste ; et j’en dis autant de la prudence et de la tempérance. — A. Pourquoi donc en serait-il autrement de la sagesse ? tant qu’un homme n’est pas sage, n’est-il pas insensé ? — E. Je l’avoue aussi. — A. Eh bien ! maintenant dans quelle catégorie es-tu ? — E. Appelle-moi comme il te plaira ; mais, je n’ose pas encore me dire sage ; et, d’un autre côté, les concessions que j’ai faites semblent me forcer à admettre comme conséquence que je suis évidemment un insensé. — A. Alors l’insensé connaît la sagesse. Et en effet, comme nous l’avons dit, il ne serait pas certain qu’il veut être sage, ni qu’il faut l’être, si la notion de la sagesse n’était pas imprimée dans son esprit, aussi bien que les notions de ces autres choses sur lesquelles tu as répondu en détail à mes questions, et que tu as reconnues avec joie faire partie de la sagesse. — E. Il en est comme tu le dis.



CHAPITRE XVI. AUX AMES ZÉLÉES QUI LA CHERCHENT, LA SAGESSE SE MONTRE PARTOUT, AU MOYEN DES NOMBRES IMPRIMÉS SUR CHAQUE CHOSE.

41. A. Lorsque nous nous étudions à être sages, faisons-nous autre chose que de ramasser, pour ainsi parler, notre âme tout entière, avec tout l’empressement dont nous sommes capables, pour la transporter dans l’objet que notre esprit a saisi, et l’y fixer d’une manière durable ? Nous l’empêchons ainsi de jouir de son moi qu’elle a embarrassé dans les choses passagères ; et la voilà, dépouillée de toutes les afflictions du temps et de l’espace, qui s’attache à celui qui est un et toujours le même ; car comme toute la vie du corps, c’est l’âme, ainsi la vie heureuse de l’âme, c’est Dieu. Occupés à ce travail, nous sommes dans la voie tant que nous ne l’avons pas achevé. Et quant à cette concession qui nous est faite de jouir des biens vrais et certains, dont l’éclat illumine ce chemin, tout ténébreux qu’il est, vois si ce n’est pas d’elle que parle l’Ecriture, en nous faisant connaître la conduite de la sagesse à l’égard de ceux qui l’aiment, lorsqu’ils viennent à elle et qu’ils la cherchent. Il est écrit en effet : « Elle se montrera à eux sur les chemins avec un visage riant, et elle ira à leur rencontre avec le cortége de sa Providence (1). » Et vraiment, de quelque côté que tu portes tes regards, elle te parle, comme au moyen de ces vestiges dont elle a laissé l’empreinte sur ses

1. Sap. VI, 17.