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lors même que l’indiscrétion ou la rancune d’aucun ami intime ne le découvrirait point. C’est pourquoi, quel sage ne reconnaîtra pas votre patience à supporter, aidé d’une bonne conscience, les violentes et incroyables attaques de celui qui fut jadis votre ami ? Pendant que les uns méprisent ces accusations et que d’autres peut-être y ajoutent foi, on voit comment vous vous en faites des armes de la gauche[1] pour combattre aussi efficacement le démon qu’avec les armes de la droite. J’aurais mieux aimé pourtant qu’il se fût montré plus doux et que vous vous fussiez montré moins bien armé. C’est un grand et triste miracle que de passer de telles amitiés à des inimitiés aussi implacables ; ç’en serait un heureux et bien plus grand encore que de revenir d’une telle inimitié à l’étroite union d’autrefois.

LETTRE LXXIV.

(Année 404.)

Saint Augustin demande à Présidius de faire parvenir à saint Jérôme la lettre précédente, et d’écrire pour lui au solitaire de Bethléem.

AUGUSTIN AU BIENHEUREUX SEIGNEUR PRÉSIDIUS, SON VÉNÉRABLE FRÈRE ET COLLÈGUE DANS LE SACERDOCE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

J’ai prié de vive voix, et maintenant je redemande à votre sincérité de vouloir bien envoyer ma lettre à notre saint frère et collègue Jérôme. Pour que vous sachiez comment vous devez lui écrire pour moi, je vous adresse une copie de mes lettres et des siennes ; après les avoir lues, vous verrez dans votre sagesse quelle mesure j’ai cru devoir garder envers lui, et vous verrez aussi son émotion que j’ai eue raison de craindre. Mais si j’ai écrit quelque chose que je n’ai pas dû ou autrement que je n’ai dû, dites-le-moi fraternellement et non pas à lui : averti par vous, je lui en demanderai pardon si je reconnais ma faute.

LETTRE LXXV.

(Année 404.)

Saint Jérôme répond aux lettres XXVIII, XL et LXXI de saint Augustin ; il défend son opinion sur le passage de l’Épître aux Galates.

JÉRÔME AU SEIGNEUR VRAIMENT SAINT ET BIENHEUREUX PAPE AUGUSTIN, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. J’ai reçu, par le diacre Cyprien, trois lettres de vous à la fois, ou plutôt trois petits livres, renfermant, à ce que vous dites, des questions, mais, comme je pense, une censure de mes ouvrages : si je voulais y répondre, il me faudrait faire un grand livre. Je tâcherai cependant, autant que je le pourrai, de ne pas dépasser les bornes d’une longue lettre et de ne pas retarder le frère, qui, trois jours seulement avant son départ, m’a demandé la réponse ; pressé par lui, je suis obligé de traiter ces choses sans trop de réflexion, de répondre à la hâte, non point avec l’attention sérieuse d’un homme qui écrit, mais avec la hardiesse d’un homme qui dicte : il en résulte que l’on va un peu au hasard, et que la discussion devient alors moins profitable : on est semblable à des soldats même intrépides, qui, troublés par une attaque soudaine, sont contraints de fuir avant de pouvoir prendre les armes.

2. Au reste, nos armes c’est le Christ, c’est l’enseignement de l’apôtre Paul qui écrit aux Éphésiens : « Prenez les armes de Dieu pour que vous puissiez résister au jour mauvais. » Et encore : « Soyez fermes ; que la vérité soit la ceinture de vos reins, que la justice soit votre cuirasse, que vos pieds soient chaussés pour vous préparer à porter l’Évangile de paix : surtout recevez le bouclier de la foi, afin que vous puissiez éteindre tous les traits enflammés du malin esprit, et recevez le casque du salut et le glaive de l’Esprit, qui est la parole de Dieu[2]. » Le roi David marchait au combat, armé de ces traits ; en prenant cinq pierres polies dans le torrent, il montrait que ses sens n’avaient rien de la rudesse ni des souillures de ce siècle ; il but de l’eau du torrent en chemin, et c’est pourquoi il eut la gloire de trancher avec son épée l’orgueilleuse tête de Goliath, frappant au front le blasphémateur[3], et le blessant à cette partie du corps où Ozias, usurpateur du sacerdoce, fut frappé de la lèpre[4], où le saint est glorifié dans le Seigneur, suivant cette parole : « La lumière de votre face resplendit sur nous, Seigneur[5]. » Nous aussi, disons donc : « Mon cœur est prêt, Seigneur, mon cœur est prêt ; je chanterai et je ferai entendre des accords dans ma gloire. Levez-vous, harpe et psaltérion ; je me lèverai dès l’aurore[6] ; » afin que ces paroles s’accomplissent en nous : « Ouvre ta bouche et je la remplirai[7] ; le Seigneur donnera sa parole à

  1. II Cor. VI, 7.
  2. Ephés. VI, 13, 17.
  3. I Rois, XVII, 40-51.
  4. II Paralip. XXVI, 19.
  5. Ps. IV, 7.
  6. Ps. LVI, 8, 9.
  7. Ps. LXXX, 11.