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mois, et que, durant l’autre moitié, cette substance se verse dans le soleil comme on ferait d’un vaisseau dans un autre. Et cependant, au milieu de tous ces blasphèmes dignes d’anathème, ils n’ont jamais pu imaginer une explication du croissant de la lune, à son renouvellement et à son déclin, ni de sa diminution à la moitié du mois : ils n’ont jamais pu dire non plus pourquoi elle n’arrive pas pleine à la fin pour se décharger ensuite.

7. Ceux qui étudient ces choses par les règles certaines des nombres, de manière non-seulement à expliquer les éclipses de soleil et de lune, mais encore à les prédire longtemps à l’avance et à déterminer par les calculs les temps précis où elles doivent arriver, et qui ont écrit de façon que chacun de leurs lecteurs les prédît comme eux et avec autant d’exactitude qu’eux ; ceux-là, dis-je, (et ils ne sont pas excusables « d’avoir eu assez de lumière pour connaître l’ordre du monde et de n’avoir pas trouvé plus aisément le Maître du monde[1], » ce qu’ils pouvaient faire avec une piété suppliante) ; ceux-là ont conjecturé, d’après les cornes mêmes de la lune qui sont opposées au soleil, soit qu’elle croisse ou qu’elle décroisse, qu’elle est éclairée par le soleil, et que, plus elle s’éloigne de lui, mieux elle reçoit ses rayons du côté par où elle se montre à la terre ; que plus elle s’en rapproche au bout de la moitié du mois, plus sa partie supérieure est éclairée, et qu’alors elle ne peut recevoir de rayons du côté qui fait face à la terre : c’est ainsi, disent-ils, que la lune nous paraît décroître : ou bien, continuent-ils, si elle a une lumière qui lui soit propre, elle n’a de lumineux que la moitié de son globe, celle qu’elle montre peu à peu à la terre en s’éloignant du soleil jusqu’à ce qu’elle la montre toute ; si elle semble nous laisser voir des accroissements, ce n’est pas qu’elle ne retrouve point ce qui lui manquait, c’est qu’elle nous découvre ce qu’elle avait ; et quand elle nous cache peu à peu ce qu’elle montrait, c’est alors qu’elle semble décroître. Quoi qu’il en soit de ces deux opinions, il y a ceci de manifeste et de facile à comprendre pour tout homme attentif, que la lune ne croît à nos yeux, qu’en s’éloignant du soleil, et qu’elle ne diminue qu’en s’en rapprochant d’un autre côté.

8. Voici maintenant ce qui se lit dans les Proverbes : « Le sage demeure comme le soleil, mais l’insensé change comme la lune[2]. » Et quel est le sage qui demeure si ce n’est le Soleil de justice de qui il a été dit : « Le soleil de justice s’est levé pour moi ? » et que les impies au dernier jour déploreront de n’avoir pas vu se lever pour eux ? « La lumière de la justice n’a pas lui pour nous, diront-ils, et le soleil de la justice ne s’est pas levé pour nous[3]. » Car Dieu qui fait pleuvoir sur les justes et les injustes, fait lever, aux yeux de la chair, ce soleil visible sur les bons et les méchants. Mais souvent des comparaisons nous conduisent des choses visibles aux choses invisibles. Quel est donc cet insensé qui change comme la lune, si ce n’est Adam en qui tous ont péché ? Quand l’âme humaine s’éloigne du soleil de la justice, c’est-à-dire de la contemplation intérieure de l’immuable Vérité, elle tourne toutes ses forcés vers les choses du dehors, et s’obscurcit de plus en plus dans ce qu’elle a de haut et de profond ; et lorsqu’elle commence à revenir à cette immuable sagesse, plus elle s’en approche avec une piété tendre, plus l’homme extérieur se détruit ; mais, de jour en jour, l’intérieur se renouvelle, et toute cette lumière de l’esprit qui descendait vers les choses d’en bas se tourne en haut : 1'âme est ainsi détournée en quelque sorte de la terre, pour mourir de plus en plus à ce monde, et cacher sa vie en Dieu avec le Christ.

9. L’homme change donc en mal lorsqu’il marche vers les choses extérieures, et que, par sa manière de vivre, il jette son cœur au-dehors : alors il n’en paraît que meilleur à la terre, c’est-à-dire à ceux qui goûtent les choses de la terre, car le pécheur y est loué dans les désirs de son âme, et on y bénit celui qui fait le mal[4]. Mais il change en mieux lorsque peu à peu il ne met plus ses desseins ni sa gloire dans ce qui est de ce monde, dans ce qui apparaît ici-bas, et qu’il se retourne vers lui-même et en haut ; il n’en paraît alors que plus mauvais à la terre, c’est-à-dire à ceux qui goûtent les choses de la terre. Voilà pourquoi les impies, dans leur pénitence inutile à la fin des temps, diront ces choses au milieu de tant d’autres : « Les voilà ceux que nous avons autrefois tournés en dérision, et qui étaient l’objet de nos outrages : insensés que nous étions, nous estimions leur vie une folie[5] ! » Donc l’Esprit-Saint, nous conduisant, par

  1. Sag. XIII, 9
  2. Ecclési. XXVII, 12
  3. Sag. V, 6
  4. Ps. X, 3
  5. Sag. V, 3-4