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saint, le sacrifice après le repas, on ne doit pas croire que ce soit à cause de ces paroles : « Il prit de même le calice après la cène[1], etc. » car l’Évangile a pu appeler Cène la réception même du corps du Sauveur avant celle du calice. L’Apôtre, en effet, dit plus haut : « Lors donc que vous vous assemblez comme vous faites, ce n’est plus manger la cène du Seigneur[2] ; » il donne ici à la manducation de l’Eucharistie le nom de Cène du Seigneur. Ce qui a pu inquiéter davantage, c’est la question de savoir si c’est après le repas qu’on doit, le jeudi saint, offrir ou recevoir l’Eucharistie ; il est écrit dans l’Évangile : « Pendant que les apôtres mangeaient, Jésus prit le pain et le bénit. » L’Évangile avait dit plus haut « Le soir étant venu, Jésus se mit à table avec ses douze disciples, et, tandis qu’ils mangeaient, il leur dit : L’un de vous me trahira[3]. » Ce fut ensuite qu’il leur donna le sacrement. Il en résulte clairement que la première fois que les disciples reçurent le corps et le sang du Sauveur, ils ne les reçurent point à jeun.

8. Faut-il, à cause de cela, condamner l’Église universelle, qui exige qu’on soit à jeun pour recevoir l’Eucharistie ? Depuis ce temps, le Saint-Esprit a voulu que, pour honorer un si grand sacrement, le corps du Sauveur entrât dans la bouche d’un chrétien avant toute autre nourriture ; c’est pourquoi cette coutume est observée dans tout l’univers. Le Seigneur ne donna le sacrement à ses disciples qu’après qu’ils eurent mangé ; mais ce n’est pas une raison pour que les chrétiens mangent d’abord, avant de se réunir pour recevoir le sacrement, ou qu’ils mêlent à leur repas l’Eucharistie, comme faisaient ceux que l’Apôtre reprend et blâme. Ce fut afin de leur faire plus fortement sentir la grandeur de ce mystère et de le mettre plus profondément dans leur cœur et leur mémoire, que le Sauveur l’institua, comme un adieu à ses disciples, avant de se séparer d’eux pour aller à sa Passion. Il ne prescrivit point comment on devait recevoir l’Eucharistie ; il en réservait le soin à ses apôtres, par qui il devait établir les Églises. Si le Sauveur eût entendu que les chrétiens dussent recevoir la communion après toute autre nourriture, je crois qu’il ne serait venu à l’esprit de personne de changer cet usage. L’Apôtre dit, il est vrai, en parlant de ce sacrement : « C’est pourquoi, mes frères, quand vous vous réunissez pour manger, attendez vous les uns les autres. Si quelqu’un est pressé par la faim, qu’il mange dans sa maison, afin que vous ne vous assembliez pas pour votre condamnation. » Mais il ajoute aussitôt : « Je réglerai le reste à mon retour au milieu de vous[4]. » D’où l’on peut conclure qu’à l’égard de la communion, cet usage, que nulle différence de coutumes ne peut changer, a été prescrit par l’Apôtre lui-même, qui ne pouvait guère établir dans une lettre tout ce qu’observe l’Église universelle.

9. Mais, quelques-uns ont aimé à se laisser aller à un sentiment probable, pour croire permis d’offrir et de recevoir l’Eucharistie après le repas un jour de l’année, le jour où le Seigneur a donné la Cène, afin de mêler plus de solennité à la commémoration de ce mystère. Je pense qu’il vaudrait mieux fixer cette célébration après le repas de la neuvième heure, pour que celui qui aura jeûné puisse assister à l’oblation. Nous n’obligeons personne à manger avant cette Cène du Seigneur, mais nous n’osons pas le défendre. Je crois pourtant que cela n’a été établi qu’à cause de la coutume presque générale de se baigner le jeudi saint. Et, parce que quelques-uns observent en même temps le jeûne, on offre le saint sacrifice le matin, par égard pour ceux qui dînent et ne peuvent supporter à la fois le jeûne et le bain, et on l’offre le soir par égard pour ceux qui jeûnent.

10. Si vous me demandez d’où est venu l’usage de se baigner le jeudi saint, ce que je trouverai de mieux à vous répondre, c’est que ceux qui doivent être baptisés ce jour-là ne pourraient pas décemment se présenter aux fonts sacrés avec la malpropreté inséparable de la rigoureuse observance du carême : ils choisissent, pour se laver, le jour de la célébration de la Cène du Seigneur. Cette concession, faite à ceux qui devaient recevoir le baptême, a servi de prétexte à beaucoup d’autres pour se laver aussi le même jour et rompre le jeûne. Ceci dit, je vous exhorte à suivre ces règles de conduite, autant que vous le pouvez, sans vous départir de cet esprit de prudence et de paix qui convient à un enfant de l’Église. Je vous répondrai une autre fois, si Dieu veut ; sur les autres choses que vous m’avez demandées.

  1. I Cor. X, 25
  2. I Cor. XI, 20
  3. Matth. XXVI, 26, 20 ; 21.
  4. I Cor. XI, 33, 34