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en paroles, en actions, en pensées, aient été effacés par le baptême. Celui qui voit bien découvre donc comment, quand et où on peut espérer cette perfection à laquelle il n’y ait plus rien à ajouter. Mais si la loi n’existait pas, où donc l’homme pourrait-il se reconnaître avec certitude et savoir ce qu’il doit éviter, vers quel but il doit diriger ses efforts, de quoi il doit remercier, ce qu’il doit demander ? C’est pourquoi l’utilité des préceptes est grande, si on fait toujours à la grâce de Dieu une part plus grande qu’au libre arbitre.

16. Cela étant, comment sera-t-on coupable de la violation entière de la loi, si on la viole en un seul point ? N’est-ce pas parce que la plénitude de la loi c’est la charité par laquelle on aime Dieu et le prochain, ce qui comprend la loi et les prophètes[1], et qu’avec raison on devient coupable de la violation totale, quand on enfreint le précepte d’où tous les autres dépendent ? Personne ne pèche sans manquer à la charité. « Tu ne commettras pas d’adultère, pas d’homicide, tu ne voleras pas, tu ne convoiteras pas ; » ces commandements et d’autres encore sont compris dans ces paroles : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même, l’amour du prochain ne fait pas le mal. » Mais la « plénitude de la loi, c’est la charité[2] ; » personne n’aime son prochain sans aimer Dieu, et en aimant le prochain comme soi-même, il le pousse autant qu’il le peut, à aimer également Dieu ; et s’il n’aime Dieu, il n’aime ni soi-même ni le prochain. C’est ainsi que quiconque ayant gardé toute la loi, la viole en un seul point, est coupable comme s’il l’avait violée tout entière, parce qu’il a péché contre la charité, d’où toute la loi dépend. Il devient coupable de tout, en péchant contre une vertu d’où tout dépend.

17. Pourquoi donc ne dit-on pas que les péchés sont égaux ? Est-ce par hasard parce que celui qui pèche plus gravement pèche davantage contre la charité et qu’un moindre péché y porte une moindre atteinte ? Pour un seul que l’on commette on devient coupable de tous les péchés, mais on est plus coupable selon la gravité ou le nombre des fautes ; on l’est moins si les fautes sont légères ou en petit nombre. La culpabilité est toujours proportionnée aux péchés, et toutefois, même en violant la loi sur un seul point, on est coupable comme si on l’avait violée tout entière, par ce qu’on a péché contre la vertu d’où tout dépend. Si cela est vrai, on explique du même coup cet endroit de l’apôtre saint Jacques : « Nous péchons tous en beaucoup de choses[3]. » Car tous nous péchons, mais l’un plus gravement, l’autre plus légèrement : plus grand pécheur si l’on aime moins Dieu et le prochain ; moins pécheur si pour Dieu et pour le prochain l’on a une charité plus grande. On sera donc d’autant plus plein d’iniquité qu’on sera plus vide de charité. Et nous sommes parfaits dans la charité quand il ne reste plus rien de notre infirmité.

18. Je ne pense pas que ce soit un péché léger que de joindre l’acception des personnes à notre foi chrétienne, si nous l’appliquons aux dignités ecclésiastiques ; qui souffrira que pour une dignité dans l’Église on choisisse un riche au lieu d’un pauvre plus instruit et plus saint ? S’il s’agit des assemblées de tous les jours, qui est-ce-qui ne pèche pas en cela ? Et l’on pèche si en soi-même on juge que celui-ci est meilleur que l’autre en tant qu’il est plus riche. C’est ce que semble signifier cette parole de saint Jacques : « Ne jugez-vous pas en vous-mêmes, et n’êtes-vous pas des juges pleins de pensées injustes ? »

19. La loi de liberté est donc la loi de charité dont l’Apôtre dit : « Si vous accomplissez cette loi royale de l’Écriture : Tu aimeras ton prochain comme toi-même, vous faites bien ; mais si vous faites acception de personnes, vous commettez un péché, et vous êtes condamnés par la loi comme transgresseurs. » Après ce passage très-difficile à comprendre, et sur lequel j’ai suffisamment énoncé mon sentiment, l’Apôtre rappelle cette même loi de liberté : « Parlez et agissez, dit-il, comme devant être jugés par la loi de liberté. » Et comme précédemment il avait dit que « nous péchons tous en beaucoup de choses, » il nous fait souvenir du remède du Seigneur, pour les blessures, même les plus légères, que notre âme reçoit chaque jour : « Un jugement sans miséricorde attend celui qui n’aura pas fait miséricorde. » Le Seigneur en effet a dit dans l’Évangile : « Pardonnez, et il vous sera pardonné ; donnez et il vous sera donné[4]. La miséricorde, poursuit l’Apôtre, s’élève au-dessus du jugement. » Il ne dit pas que le jugement est vaincu par la miséricorde, car elle n’est pas opposée au jugement, mais qu’elle

  1. Matth. XXII, 40.
  2. Rom. XIII, 9, 10.
  3. Jacq. III, 2.
  4. Luc, VI. 37, 38.