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c’est Dieu, sans aucun doute, et il vit d’une immuable vie. Et de même que cette vie, qui existe par elle-même, devient la nôtre lorsque nous y participons de quelque manière que ce puisse être ; ainsi, cette justice souveraine devient aussi notre justice quand nous nous unissons à elle par la droiture de notre conduite ; et nous sommes plus ou moins justes, selon que nous lui demeurons plus ou moins unis. Voilà pourquoi – il est dit du Fils unique de Dieu, qui est la sagesse et la justice du Père, toujours subsistante en elle-même : « qu’il nous a été donné de Dieu pour être notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption, afin que, selon qu’il est écrit, celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur[1]. » C’est ce que vous avez vu vous-même en aboutant et en disant : « A moins qu’un n’affirme que la justice n’est pas notre équité humaine, et qu’il n’y en a qu’une seule, celle qui est Dieu. » C’est certainement ce Dieu souverain qui est la vraie justice ; c’est ce vrai Dieu qui est la justice souveraine ; en avoir faim et soif, telle est notre justice dans ce pèlerinage ; en être rassasié, ce sera notre pleine justice dans l’éternité. Ainsi ne nous représentons pas Dieu comme semblable à notre justice, mais pensons plutôt que nous deviendrons d’autant plus semblables à Dieu que nous serons plus justes par une plus grande participation à sa grâce.

20. S’il faut prendre garde à ne pas croire Dieu semblable à notre justice, parce que la lumière qui éclaire est incomparablement plus excellente que ce qui est éclairé ; à plus forte raison nous ne devons pas croire qu’il y ait en lui quelque chose de moindre et en quelque sorte de plus décoloré que notre justice. Mais la justice, quand elle est en nous, ou toute autre vertu, par laquelle on vit avec rectitude et sagesse, qu’est-ce autre chose que la beauté de l’homme intérieur ? et certainement c’est par cette beauté de l’âme bien plus que par celle du corps que nous avons été faits semblables à Dieu ; de là ces paroles de l’Apôtre : « Ne vous conformez pas à ce siècle, mais réformez-vous dans le renouvellement de votre esprit, afin que vous reconnaissiez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon et agréable à ses yeux, ce qui est parfait[2]. » Si donc quand nous parlons de la beauté de l’âme, ou que nous la reconnaissons, ou que nous la cherchons, nous ne la faisons point consister dans la masse ni l’étendue, comme la beauté des corps que nous voyons ou imaginons, mais dans une vertu intelligible telle que la justice ; et si c’est par cette beauté morale que nous sommes refaits à l’image de Dieu, assurément nous n’aurons pas l’idée de chercher dans des formes corporelles la beauté de Dieu lui-même qui nous a faits et nous refait à son image : nous devons croire qu’il est incomparablement plus beau que les âmes des justes, puisque sa justice n’est comparable à celle d’aucun autre. Voilà une réponse plus longue peut-être que ne l’attendait votre charité, si l’on considère la masure ordinaire des lettres, mais courte si l’on songe à la grandeur de la question ; toutefois, elle vous suffira. Je ne dis pas que ce soit assez pour vous instruire ; mais maintenant, à l’aide de ce que vous pourrez lire encore ou entendre de divers côtés, vous serez plus aisément en mesure de vous corriger vous-même : et ceci est toujours d’autant meilleur qu’on le fait avec plus d’humilité et de foi.


LETTRE CXXI  (Octobre 410.) Saint Paulin soumet à saint Augustin des difficultés tirées de psaumes, des épîtres de saint Paul et de l’Évangile. Cette lettre de l’évêque de Nole a des endroits remarquables, l’endroit surtout où il commente les dernières paroles du Sauveur expirant.

1. Des difficultés me sont venues à l’esprit lorsque déjà le porteur de cette lettre était au moment de s’embarquer et qu’il m’obligeait de me hâter ; je ne pourrai donc que vous en soumettre quelques-unes ; l’éclaircissement de ces difficultés sera comme la couronne de la réponse que j’espère recevoir de vous. Si ces passages sont clairs en eux-mêmes et obscurs pour moi seul, qu’aucun de vos sages fils qui pourront assister à la lecture de ma lettre ne rie de mon ignorance ; mais qu’il cherche à m’instruire dans un mouvement de fraternelle charité, afin que je sois du nombre des voyants, du nombre de ceux qui, illuminés par vos leçons, comprennent les merveilles de la loi du Seigneur.

2. Expliquez-moi donc, béni docteur d’Israël, ce passage du quinzième psaume : « Il a rendu toutes ses volontés admirables parmi ses saints qui sont sur la terre. Leurs infirmités se sont multipliées ; ensuite ils ont couru. » Qui appelle-t-il des saints et des saints sur la terre ? Sont-ce ces Juifs qui, enfants d’Abraham selon la

  1. I Cor. I, 30, 31.
  2. Rom. XII, 2.