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et qu’il n’y en a qu’une seule, celle qui est Dieu.

6. Ce n’est pas seulement de vive voix que je voudrais être éclairé sur toutes ces choses., mais par une lettre complète. Car il ne faut pas que nos pieds seuls soient ramenés par vous de cette voie de l’erreur ou nous sommes entrés en si grand nombre. Lorsque dans les îles que nous habitons, bien des gens, en cherchant le droit chemin, s’égarent au milieu de tortueux sentiers, y aura-t-il là un Augustin dont ils puissent reconnaître l’autorité et croire la doctrine, un Augustin qui triomphe d’eux par son génie ? Peut-être, dans votre paternelle affection, aimeriez-vous mieux m’avertir secrètement que de me reprendre avec éclat comme un homme qui fait fausse route, comme un mauvais guide ? Mais c’est pour l’avantage de mon âme, et non point pour obtenir les louanges des hommes, que je désire continuer ma course votre correction, m’étant utile, ne me sera pas amère : d’autant plus que moi et les autres nous y trouverons et la vie et la gloire. Je ne crois point en effet que personne puisse être injuste au point d’aimer mieux m’accuser de folie pour être resté quelque temps dans l’erreur, que de reconnaître que j’ai bien fait en choisissant le parti de la vérité. Étaient-ce des fous ceux que saint Paul exhortait à ne pas courir en vain en leur disant : « Courez de façon à remporter le prix[1] ? » C’est pourquoi cette voie d’erreur où nous courons, il faut non-seulement que nous l’abandonnions, mais il faut la fermer et la couper, de peur qu’un semblant d’affection ne prive de la vérité ceux qui marchent avec nous. Je ne vous ai pas choisi entre tous pour lire simplement mes livres, mais je les soumets à l’épreuve de votre jugement ; car dans la lettre placée comme une préface en tête de mes humbles ouvrages, j’ai dit ceci : « Nous avons voulu appuyer la flottante nacelle de notre foi sur le sentiment du bienheureux évêque Augustin. » Pourquoi donc, vous qui êtes au sommet de cette doctrine qui est dans le Christ, hésiteriez-vous à reprendre ouvertement un fils qu’il faut corriger ? Si l’ancre de votre jugement ne s’enfonce pas profondément, pourra-t-elle nous retenir avec une assez forte certitude ? Car ce n’est pas ici une question peu grave où l’erreur consiste à ne pas avancer ; mais, vous l’avez dit fortement vous-même, notre esprit aveugle court risque de tomber dans le crime d’idolâtrie. Je voudrais que vous traitassiez cela avec votre habileté et votre sagesse, afin que la belle clarté de votre doctrine et de votre génie dissipât les ombres de notre esprit, et que, grâce à votre lumineuse parole, nous pussions voir des yeux du cœur ce que nous ne pouvons pas nous retracer maintenant. Eternellement sauf et bienheureux, possédez, en vous souvenant de moi, les célestes royaumes, ô mon saint seigneur et bienheureux pape ! 

LETTRE CXX.


(Année 410)

Saint Augustin répond à Consentius. Cette lettre est une des plus belles que nous ayons de ce grand homme. L’évêque d’Hippone y parle admirablement de la raison humaine. Il pénètre ensuite dans les profondeurs de la sainte Trinité, signale diverses erreurs qui s’étaient produites dans l’Église au sujet de ce mystère, et par une suite de vérités fortement établies sous les yeux de Consentius, il le met en mesure de se rectifier.

AUGUSTIN A CONSENTIUS, SON BIEN-AIMÉ ET HONORABLE FRÈRE EN JÉSUS-CHRIST, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Je vous avais prié de venir nous voir parce que j’avais été charmé de votre esprit dans vos livres. J’aurais voulu que vous eussiez lu auprès de nous et en quelque sorte sous nos yeux ceux de nos ouvrages qui nous semblent vous être nécessaires : vous nous auriez questionné à votre aise sur ce que vous auriez peut-être moins bien entendu et, par nos entretiens, autant que le Seigneur nous aurait donné, à nous d’expliquer, à vous de comprendre, vous auriez reconnu et corrigé vous-même ce qui doit être rectifié dans vos livres. Car vous êtes doué de la faculté de bien exprimer ce que vous pensez ; par votre droiture et votre humilité, vous méritez de connaître le vrai. Et maintenant je reste dans le même sentiment qui ne doit pas vous déplaire ; je vous ai récemment engagé, lorsque vous lisez chez vous mes écrits, à marquer les endroits qui vous arrêtent, et à me les apporter pour me demander des explications sur chacun des passages. Je vous invite à faire ce que vous n’avez pas encore fait. Votre réserve et votre crainte à cet égard ne se justifieraient que si vous m’aviez trouvé mal disposé, ne fût-ce qu’une fois. En vous entendant vous plaindre d’exemplaires fautifs de mes ouvrages, je vous avais dit aussi que vous pourriez trouver chez moi des exemplaires plus corrects.

2. Vous me demandez de traiter avec habileté et sagesse la question de la Trinité, c’est-à-dire de l’unité de la divinité et de la distinction des personnes. « Vous voulez, dites-vous, que les clartés de ma doctrine et de mon génie dissipent les ombres de votre esprit, afin, que, grâce à mes lumineuses paroles, vous puissiez voir des yeux de l’intelligence ce que maintenant vous ne pouvez vous retracer. » Voyez d’abord si ce désir s’accorde avec le passage

  1. I Cor. IX, 24.