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sens à cette réponse du Seigneur : « Les fils de l’époux ne peuvent pas être en deuil tant que l’époux est avec eux[1]. »

6. Il dit que si les apôtres ont mangé le jour du sabbat, c’est que le temps de jeûner ce jourlà n’était pas encore venu, et que la tradition des anciens le défendait ; mais n’était-ce pas encore le temps d’observer le repos du sabbat ? Est-ce que la tradition des anciens ne le prescrivait pas ? Et cependant, dans ce même jour du sabbat où nous lisons que les disciples du Christ mangèrent, ils arrachèrent aussi des épis : cela n’était pas permis le jour du sabbat, parce que la tradition des anciens le défendait. Qu’il prenne garde qu’on ne puisse lui répondre, avec plus de raison, que le Seigneur a laissé alors ses disciples arracher des épis et prendre de la nourriture, pour se déclarer à la fois contre ceux qui veulent se reposer le samedi, et contre ceux qui obligent à jeûner le même jour : car il aurait fait entendre que ce repos eût été superstitieux dans les temps nouveaux, et il aurait voulu que le jeûne fût libre dans tous les temps. Je ne donne pas ceci comme preuves, mais pour montrer ce qu’il y aurait de plus convenable à opposer aux interprétations de l’auteur.

7. « Comment, dit-il, ne serons-nous pas damnés avec le Pharisien, en jeûnant seulement deux fois la semaine ? » Comme si le Pharisien avait été damné pour n’avoir jeûné que deux fois la semaine, et non pas pour s’être luis orgueilleusement au-dessus du Publicain[2] ! L’auteur peut dire aussi que ceux qui donnent aux pauvres la dîme de tous leurs fruits seront damnés avec le Pharisien, parce qu’il plaçait hautement ceci au nombre de ses œuvres : puissent beaucoup de chrétiens en faire autant ! C’est à peine si nous en trouvons un petit nombre. Il faudra dire aussi que celui qui n’aura été ni injuste, ni adultère, ni ravisseur du bien d’autrui, sera damné avec le Pharisien, car il se vantait de n’être pas tel : or chacun comprend que ce serait insensé. Les choses que s’attribuait le Pharisien sont bonnes sans aucun doute, quand elles ne sont pas accompagnées de la jactance superbe qui apparaissait en lui, mais de cette humble piété dont il était bien loin. Ainsi le jeûne, deux fois la semaine, ne pouvait porter aucun fruit dans un homme comme le Pharisien ; mais c’est une sainte pratique pour qui est humblement fidèle ou fidèlement humble. Et encore l’Évangile n’a pas dit que le Pharisien serait damné, mais plutôt que le Publicain s’en alla mieux justifié.

8. L’auteur prétend que ce n’est qu’en jeûnant plus de deux fois la semaine qu’on peut satisfaire à ce précepte du Seigneur : « Si votre justice n’est pas plus abondante que celle des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux[3]. » Mais, heureusement, il y a sept jours qui dans le cours des temps reviennent sans cesse. Ôtez-en deux jours pour ne jeûner ni le samedi ni le dimanche, il en reste cinq pour en faire plus que le Pharisien qui jeûnait deux fois la semaine ; il suffit même de jeûner trois fois. Et si on jeûne quatre fois et qu’on ne passe même aucun jour sans jeûner, sauf le samedi et le dimanche, cela fera cinq jours de jeûne par semaine, ce qui est pratiqué par beaucoup de chrétiens durant toute leur vie, surtout dans les monastères. On surpassera alors, par le mérite du jeûne, non-seulement le Pharisien, mais aussi le chrétien qui jeûne le mercredi, le vendredi et le samedi, ce que fait souvent le peuple à Rome. Et je ne sais quel dissertateur romain n’en continuera pas moins à appeler charnel celui qui jeûne toute la semaine, excepté le samedi et le dimanche, et qui ne donne jamais à son corps selon ses besoins ; il semble croire qu’il y ait des jours où la nourriture et la boisson n’appartiennent pas à la chair ; on est, selon lui, adorateur de son ventre quand on mange le samedi, comme si le dîner du samedi avait seul quelque chose de réel.

9. Il ne suffit pas à l’auteur qu’on fasse plus que le Pharisien en jeûnant trois fois la semaine ; il veut qu’on jeûne tous les jours, excepté le dimanche. « Ceux, dit-il, qui, purifiés de l’ancienne tache, n’étant plus qu’une même chair avec le Christ, demeurent sous sa discipline, ne doivent pas le samedi faire de joyeux festins avec des fils sans loi, avec les princes de Sodome et le peuple de Gomorrhe ; mais ils doivent, par la loi solennelle de l’Église, jeûner de plus en plus légitimement avec ceux qui aspirent à la sainteté, avec les dévots amis de Dieu, afin que la moindre faute des six jours soit lavée dans les fontaines du jeûne, de la prière et de l’aumône, et que, tous restaurés par l’alogie du

  1. Mat. IX, 15
  2. Luc, XVIII, 11-12
  3. Mat. V, 20