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de changer en catholiques dissimulés ceux qu’auparavant nous savions être ouvertement hérétiques. Ce ne sont pas des. paroles de contradiction, mais des exemples de démonstration qui ont triomphé de cette première opinion que j’avais. On m’opposait d’abord ma propre ville qui appartenait tout entière au parti de Donat, et s’est convertie à l’unité catholique par la crainte des lois impériales ; nous la voyons aujourd’hui détester si fortement votre funeste opiniâtreté qu’on croirait qu’il n’y en a jamais eu dans son sein. Il en a été ainsi de beaucoup d’autres villes dont on me citait les noms, et je reconnais qu’ici encore pouvaient fort bien s’appliquer ces paroles : « Donnez au sage l’occasion et il sera plus sage[1], » Combien en effet, nous en avons les preuves certaines, frappés depuis longtemps de l’évidence de la vérité, voulaient être catholiques, et différaient de jour en jour parce qu’ils redoutaient les violences de ceux de leur parti ! Combien demeuraient enchaînés non point dans les liens de la vérité, car il n’y a jamais eu présomption de la vérité au milieu de vous, mais dans les liens pesants d’une coutume endurcie, en sorte que cette divine parole s’accomplissait en eux : « On ne corrigera pas avec des paroles le mauvais serviteur ; même quand il comprendra, il n’obéira pas[2] ! » Combien croyaient que le parti de Donat était la véritable Église, parce que la sécurité où ils vivaient les rendait engourdis, dédaigneux et paresseux pour l’étude de la vérité catholique ! A combien de gens fermaient l’entrée de la vraie Église les mensonges de ceux qui s’en allaient répétant que nous offrions je ne sais quoi de différent sur l’autel de Dieu ! Combien de gens pensaient qu’il importait peu dans quel parti fût un chrétien, et demeuraient dans le parti de Donat, par la seule raison qu’ils y étaient nés, et que personne ne les poussait à sortir de là et à passer à l’Église catholique !

18. La terreur de ces lois, par la publication desquelles les rois servent le Seigneur avec crainte, a profité à tous ceux dont je viens d’indiquer les états divers ; et maintenant, parmi eux, les uns disent : Depuis longtemps nous voulions cela ; mais rendons grâces à Dieu qui nous a fourni l’occasion de le faire à présent, et a coupé court à tout retard. D’autres disent Nous savions depuis longtemps que là était la vérité, mais je ne sais quelle coutume nous retenait : rendons grâces au Seigneur qui a brisé nos liens et nous a fait passer dans le lien de la paix. D’autres disent : Nous ne savions pas que là se trouvait la vérité, et nous ne voulions pas l’apprendre ; mais la crainte nous a rendus attentifs pour la connaître, et nous avons eu peur de perdre nos biens temporels sans profit pour les choses éternelles : rendons grâces au Seigneur qui a excité notre indolence par l’aiguillon de la crainte et nous a poussés, à chercher dans l’inquiétude ce que nous n’avons jamais désiré connaître dans la sécurité. D’autres encore : De fausses rumeurs nous faisaient redouter d’entrer ; nous n’en aurions pas connu la fausseté si nous ne fussions entrés ; nous n’aurions jamais franchi le seuil sans la contrainte : nous rendons grâces au Seigneur de ce châtiment qui nous a fait triompher de vaines alarmes et nous a appris par l’expérience tout ce qu’il y a d’imaginaire et de menteur dans les bruits répandus contre son Église : nous concluons que les auteurs du schisme n’ont débité que des faussetés, en voyant leurs descendants en débiter de pires. Enfin d’autres disaient : Nous pensions que peu importait où l’on observât la foi du Christ ; mais nous rendons grâces au Seigneur qui nous a retirés du schisme, et nous a montré qu’il convenait à son unité divine d’être adorée dans l’unité.

19. Devais-je donc, pour arrêter ces conquêtes du Seigneur, me mettre en opposition avec mes collègues ? Fallait-il empêcher que les brebis du Christ, errantes sur vos montagnes et vos collines, c’est-à-dire sur les hauteurs de votre orgueil, fussent réunies dans le bercail de la paix, où il n’y a qu’un seul troupeau et un seul pasteur[3] ? Fallait-il m’opposer à ces heureux défenseurs, pour que vous ne perdissiez pas ce que vous nommez vos biens et que vous continuassiez à proscrire tranquillement le Christ ? Pour qu’on vous laissât faire, d’après le droit romain, des testaments, et que vous déchirassiez, par vos calomnieuses accusations, le Testament fait à nos pères de droit divin, ce Testament où il est écrit : « Toutes les nations seront bénies en votre race[4] ? » Pour qu’on vous laissât libres d’acheter et de vendre, pendant que vous auriez osé diviser entre vous ce que le Christ a acheté en se laissant vendre lui-même ? Pour que les donations faites par chacun de vous demeurassent valables, tandis que la donation faite par le Dieu des dieux à

  1. Prov. IX, 9.
  2. Ibid, XXIX, 19.
  3. Jean, X, 16.
  4. Gen. XXVI, 4