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comme l’entraînement du zèle. Il voulait conférer et discuter, et non point faire acte de complaisance et de flatterie. L’adulation est cette huile du pécheur dont le Prophète ne veut pas engraisser sa tête, car il dit : « Le juste me corrigera dans sa miséricorde et me reprendra, mais l’huile du pécheur n’engraissera point ma tête[1]. » Il aime mieux être corrigé par la sévère miséricorde du juste, que d’être loué par la douce onction de la flatterie. De là encore ce mot du Prophète : « Ceux qui vous disent heureux vous jettent dans l’erreur[2]. » Voilà pourquoi on dit vulgairement d’un homme que les fausses caresses rendent arrogant : « Sa tête est enflée. » En effet elle a été engraissée de l’huile du pécheur, ce qui est, non pas l’âpre vérité de celui qui corrige, mais la douce fausseté de celui qui loue. Je ne veux pas dire pour cela que vous ayez dû être corrigé par mon frère Evode, comme s’il était le juste dont parle l’Écriture ; je tremble que vous ne trouviez dans mes paroles quelque chose qui vous paraisse injurieux : j’y prends garde autant que je puis. Le Juste est celui qui a dit : « Je suis la vérité[3]. » Aussi de quelque bouche que parte le vrai même avec quelque âpreté, laissons-nous corriger, non point par l’homme lui-même qui peut-être est un pécheur, mais par la Vérité elle-même, c’est-à-dire par le Christ, qui est le Juste : il ne veut pas que l’onction de la caressante mais pernicieuse flatterie, qui est l’huile du pécheur, engraisse notre tête. Quand même mon frère Evode se serait un peu ému dans la défense de sa communion, et qu’il eût dit quelque chose de trop vif, vous devriez le pardonner, et à son âge, et à la nécessité de la cause.

4. Je vous demande de vous souvenir de la promesse que vous avez daigné faire de traiter paisiblement avec moi une question si grande, qui appartient au salut de tous, en présence de ceux que vous aurez choisis vous-même, pourvu que nos paroles ne se perdent pas dans l’air, mais qu’elles soient écrites : nous discuterons ainsi avec plus d’ordre et de paix, et nous pourrons retrouver les choses qui, une fois dites, échapperaient ensuite à notre mémoire. Ou bien, si cela vous plaît, nous pourrons d’abord conférer en particulier où vous voudrez, soit par lettres, soit par conversation et livres sur table, de peur que des auditeurs passionnés ne soient plus sensibles à l’intérêt d’un combat entre nous qu’à l’intérêt éternel d’une question qui touche à notre salut. Puis nous ferons connaître au peuple ce qui aura été fait entre nous. S’il vous convient de conférer par lettres, nos lettres seront lues aux deux partis, afin qu’un jour il n’y ait plus deux peuples, mais un seul. J’accepte d’avance et avec plaisir ce que vous aurez voulu et ordonné, ce qui vous aura plu. Je promets avec une parfaite assurance que le saint et vénérable Valère, mon père, en ce moment absent, acceptera tout avec grande joie ; je sais combien il aime la paix et combien il repousse tout ce qui est bruit et vanité.

5. Que nous font les dissensions anciennes ? C’est assez qu’elles aient duré jusqu’ici, ces blessures que l’animosité d’hommes superbes a faites à nos membres ; leur pourriture nous empêche de sentir même la douleur pour laquelle on a coutume d’implorer le médecin. Vous voyez par quelle grande et misérable honte les maisons et les familles chrétiennes sont désunies ; les maris et les épouses ne font qu’un dans leur intimité domestique et ne s’accordent pas sur l’autel du Christ ! C’est par le Christ qu’ils se jurent une paix parfaite, et ils ne peuvent avoir la paix en lui ! Les enfants ont avec leurs parents la même maison et n’ont pas la même maison de Dieu : ils espèrent leur héritage et disputent avec eux sur l’héritage du Christ ! Les serviteurs et les maîtres ne s’entendent pas sur leur Maître commun, qui a pris la forme d’un esclave pour les délivrer tous de la servitude. Les vôtres nous honorent, les nôtres vous honorent aussi. Les vôtres nous conjurent par notre couronne[4], les nôtres en font autant pour vous. Nous recevons les paroles de tous, nous ne voulons offenser personne. En quoi le Christ nous a-t-il offensés, pour que nous déchirions ses membres ? Des hommes qui ont besoin de nous dans leurs intérêts temporels nous appellent des saints et des serviteurs de Dieu pour mener à bonne fin leurs affaires : occupons-nous enfin de la grande affaire de leur salut et du nôtre, non pas d’or ni d’argent, ni de fonds de terre ni de troupeaux, pour lesquels chaque jour ils nous saluent tête basse, afin que nous jugions leurs différends ; mais de Jésus-Christ notre chef, sur lequel nous sommes si honteusement et si pernicieusement divisés. À quelque profondeur que s’abaissent ceux qui nous

  1. Psa. CXL, 5
  2. Isaïe, III, 12
  3. Jean, XIV, 6
  4. La dignité d’évêque.