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même, s’il était vaincu autant de fois par l’autorité d’un juge qu’il aurait choisi de son plein gré, n’oserait pas persister dans son opinion.

4. On pourrait dire que ce sont là des jugements humains, sujets à l’erreur, aux surprises, à la corruption ; mais pourquoi accuser le monde chrétien et lui reprocher les crimes de je ne sais quels traditeurs ? A-t-il pu, a-t-il dû plutôt croire des accusateurs vaincus que des juges choisis par eux-mêmes ? Ces juges ont bien ou mal jugé, Dieu le sait ; mais qu’a-t-elle fait, cette Église répandue par toute la terre, cette Église que ces gens-là voudraient rebaptiser, uniquement parce que dans une cause où elle ne pouvait pas démêler la vérité, elle a cru devoir s’en rapporter à ceux qui ont pu juger plutôt qu’à ceux qui n’ont pas cédé malgré leur défaite ? O le grand crime de toutes les nations que Dieu promit de bénir dans la race d’Abraham[1], et qu’il a bénies comme il l’a promis ! Ces nations disent d’une même voix : Pourquoi voulez-vous nous rebaptiser ? Et on leur répond : Parce que vous ne savez pas quels sont ceux qui ont été en Afrique les traditeurs des livres saints, et, dans ce que vous ne savez pas, vous avez mieux aimé croire des juges que des accusateurs 1 Si nul n’est coupable du crime d’autrui, en quoi ce qui a été commis en Afrique regarde-t-il l’univers ? Si un crime inconnu n’est imputable à personne, comment l’univers a-t-il pu connaître le crime des juges ou des accusés ? Jugez, vous tous qui avez du bon sens. Telle est la justice des hérétiques : parce que le monde ne condamne pas un crime inconnu, le parti de Donat condamne le monde sans l’entendre. Mais c’est assez pour l’univers d’avoir les promesses de Dieu, de voir en lui-même l’accomplissement des anciennes prophéties et de reconnaître l’Église dans ces mêmes Écritures où il reconnaît aussi le Christ son roi. Car là où sont prédites, touchant le Christ, les choses dont nous lisons l’accomplissement dans l’Évangile, là sont prédites, touchant l’Église, les choses dont nous voyons l’accomplissement dans le monde entier.

5. Un esprit de quelque sagesse s’inquiète peu de ce qu’ils ont coutume de dire au sujet du baptême du Christ. À les entendre, ce baptême n’est vrai que si un homme juste le confère ; or toute la terre connaît cette manifeste vérité de l’Évangile de saint Jean : « Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, m’a dit : Celui sur qui vous verrez descendre et se reposer le Saint-Esprit comme une colombe, c’est celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit[2]. » Aussi l’Église, pleine de sécurité, ne met pas son espérance dans l’homme, de peur de s’exposer à cette sentence de l’Écriture : « Maudit soit celui qui met son espérance dans l’homme[3] ; » mais l’Église met son espérance dans le Christ qui a pris la forme d’un esclave sans perdre la forme de Dieu, et dont il a été dit : « C’est celui-là qui baptise. » Et quel que soit l’homme qui est le ministre de son baptême, quel que soit le poids de ses fautes, ce n’est pas lui qui baptise, c’est celui sur lequel descendit la colombe. Ces gens-là, dans la vanité de leurs pensées, cheminent au milieu de tant d’absurdités qu’ils ne trouvent plus à s’en délivrer. Puisqu’ils reconnaissent pour bon et vrai baptême celui que confèrent parmi eux les coupables dont les crimes sont cachés, nous leur disons : Qui baptise alors ? Ils n’ont rien à répondre si ce n’est : Dieu. Ils ne peuvent dire en effet qu’un homme adultère sanctifie quelqu’un. Nous ajoutons : Si donc lorsqu’un homme manifestement juste baptise, c’est lui-même qui sanctifie, et si lorsque c’est un homme secrètement inique qui baptise, ce n’est pas lui mais Dieu qui sanctifie, ceux qui sont baptisés doivent souhaiter de l’être par des hommes secrètement mauvais plutôt que par des hommes manifestement bons ; car Dieu les sanctifie beaucoup mieux qu’un homme juste, quel qu’il puisse être. Or, s’il est absurde qu’on désire être plutôt baptisé par un homme secrètement adultère que par un homme manifestement chaste, il en résulte que, quel que soit le ministre qui le confère, le baptême est valide, parce que c’est celui sur lequel descendit la colombe qui baptise lui-même.

6. Et pourtant, malgré cette vérité évidente qui frappe les oreilles et les cœurs des hommes, tel est pour quelques-uns la profondeur de l’abîme d’une mauvaise coutume, qu’ils aiment mieux résister à toutes les autorités et à toutes les raisons que de s’y soumettre. Or, ils résistent de deux manières : par la rage ou par la nonchalance. Que fera donc ici la médecine de l’Église, cherchant dans sa maternelle charité le salut de tous, et flottant incertaine entre les frénétiques et les léthargiques ?

  1. Gen. XXII, 18
  2. Jean, I, 33
  3. Jér. XVII, 5