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conduire des brebis au Seigneur, il n’est personne qui n’eût le droit de m’accuser, je ne dis pas de dureté, mais d’iniquité. Les intérêts religieux de notre ministère souffrent parmi nous du manque d’ouvriers évangéliques qui sachent la langue latine ; l’usage de cette langue est, au contraire, commun dans le pays que vous habitez ; serait-ce pourvoir au salut des peuples du Seigneur que de vous envoyer celui qui est doué d’une aptitude si précieuse, et de l’enlever à notre contrée, pour laquelle nous l’avons souhaité avec une si grande ardeur de cœur ? Pardonnez-moi donc ce que je fais contre votre désir et à regret : j’y suis obligé par les devoirs de mon ministère. le Seigneur, en qui vous avez mis votre cœur, bénira vos travaux pour vous récompenser de ce sacrifice ; car c’est vous surtout qui avez accordé le diacre Lucile à l’ardente soif de notre pays. Je ne vous devrai pas peu si vous daignez m’épargner de nouvelles instances à cet égard ; je ne voudrais pas paraître trop dur à votre vénérable et sainte bienveillance.

LETTRE LXXXV.

(Année 405.)

Remontrances de saint Augustin à un évêque.

AUGUSTIN A SON BIEN-AIMÉ SEIGNEUR, A SON FRÈRE DONT IL IMPLORE DE TOUS SES VŒUX LA SANCTIFICATION, A PAUL, SON COLLÈGUE DANS LE SACERDOCE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Je ne serais pas tant inexorable à vos yeux si vous ne doutiez point de ma sincérité. M’appeler ainsi, n’est-ce pas me prêter contre vous le goût de la division et le détestable sentiment de la haine ; comme si, en une matière aussi évidente, je ne prenais garde d’être réprouvé moi-même après avoir prêché aux autres[1], et qu’en voulant chasser la paille de votre œil j’entretinsse la poutre dans le mien[2] ? Ce que vous croyez n’est pas. Je vous dis encore une fois, et je prends Dieu à témoin, que si vous vouliez à vous-même tout ce que je vous veux, il y a déjà longtemps que vous vivriez tranquille dans le Christ, et que vous réjouiriez toute l’Église dans la gloire de son nom. Je vous ai déjà écrit que vous êtes non-seulement mon frère, mais encore mon collègue. Car il ne peut se faire qu’un évêque de l’Église catholique, quel qu’il soit, ne reste pas mon collègue, tant qu’il n’a pas été condamné par un jugement ecclésiastique. La seule raison qui m’empêche de communiquer avec vous, c’est que je ne puis vous flatter. Comme c’est moi qui vous ai engendré en Jésus-Christ par l’Évangile, je vous dois plus qu’un autre les justes et sévères avertissements de la charité. L’heureux souvenir des âmes que vous avez rendues, avec l’aide de Dieu, à l’Église catholique, ne m’empêche pas de gémir sur celles que vous lui faites perdre. Car vous avez blessé l’Église d’Hippone de telle manière que si le Seigneur ne vous délivre du poids des soucis et des occupations du siècle pour vous ramener à une véritable vie d’évêque, la blessure demeurera incurable.

2. Mais vous ne cessez de vous enfoncer de plus en plus dans les affaires auxquelles vous aviez renoncé, au point d’aller même, après 'y avoir renoncé, au-delà de ce que permettent les lois humaines ; et telles sont, dit-on, les habitudes de votre vie que les revenus de votre Église ne suffisent pas à vos profusions pourquoi donc recherchez-vous ma communion, vous qui ne voulez pas entendre mes remontrances ? Est-ce pour que les hommes m’imputent tout ce que vous faites, quand il m’est impossible de supporter leurs plaintes ? C’est en vain que vous prétendez que ceux qui disent du mal de vous aujourd’hui ont été vos ennemis de tout temps, et pendant votre vie antérieure. Il n’en est pas ainsi, et je ne m’étonne pas que bien des choses vous soient cachées. Mais quand même cela serait vrai, on ne devrait rien trouver dans vos mœurs qui donnât droit de vous reprendre et occasion de blasphémer contre l’Église. Vous croyez peut-être que je vous parle ainsi parce que vos explications ne m’ont pas satisfait ? Je parle ainsi, au contraire, parce que, si je me taisais, je ne pourrais moi-même satisfaire à Dieu pour mes péchés. Je sais que vous avez de la perspicacité, mais un esprit, fût-il lourd, demeure confiant lorsqu’il s’inspire du ciel ; un esprit perçant n’est rien lorsqu’il ne s’inspire que de la terre. L’épiscopat n’est pas un moyen de passer doucement la vie et de goûter ses fausses joies. Ce que je vous dis, le Seigneur vous l’enseignera, le Seigneur qui vous a fermé tous les chemins que vous avez voulu suivre en vous

  1. II Cor. IX, 27.
  2. Matth. VII, 4