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l’affectueuse manière dont vous le recevrez. Que Dieu vous garde à jamais de cette génération corrompue[1], seigneurs et frères très-chers et très-purs, véritablement bons et très-éminents par l’abondance de la grâce divine !

LETTRE XXXII.

((Année 396.)

Saint Paulin écrit à Romanien et félicite l’Église d’Hippone d’avoir mérité Augustin pour coadjuteur de l’évêque. Il exhorte Licentius, en vers et en prose, à mépriser l’éclat du monde et à se donner au Christ. Il est touchant dans ses efforts pour ramener Licentius à la vérité religieuse, au nom même de cet Augustin qui aime tant ce jeune ami et qui a tant fait pour lui. Les vers de saint Paulin ont une force expressive qui nous a engagé à les traduire intégralement et aussi fidèlement que possible.

PAULIN ET THÉRASIE, À LEUR HONORABLE SEIGNEUR ET FRÈRE ROMANIEN.

1. Nos frères, arrivés hier d’Afrique, et qui nous avaient tenus longtemps suspendus à l’espoir de leur retour, comme vous l’avez vu vous-même, ô le plus désiré des saints hommes qui nous sont chers ! nous ont apporté des lettres d’Aurèle, d’Alype, d’Augustin, de Profuturus, de Sévère, aujourd’hui tous évêques. Heureux de ces récents discours de tant de saints, nous nous hâtons de vous faire connaître notre joie : nous voulons, par le témoignage de notre allégresse, partager avec vous le bonheur que nous attendions pendant ce périlleux voyage. Si, par l’arrivée d’autres navires, vous avez appris les mêmes bonnes nouvelles de ces hommes, les plus dignes de vénération et d’amour, recevez ceci comme une douce répétition, et tressaillez d’une joie renouvelée. Si nous sommes les premiers à vous en instruire, félicitez-nous que, grâce au Christ, nous possédions assez d’affection dans votre patrie pour que nous sachions les premiers ou des premiers tout ce qu’y accomplit la divine Providence, toujours admirable dans ses saints[2], comme dit le Psalmiste.

2. Nous n’écrivons pas seulement pour nous réjouir de l’élévation d’Augustin à l’épiscopat, mais pour nous réjouir aussi de ce que les Églises d’Afrique ont mérité par une faveur divine, d’entendre la parole céleste de la bouche d’Augustin appelé d’une façon nouvelle, non pas à succéder à son évêque, mais à siéger avec lui, sa consécration n’est qu’un accroissement des grâces et des dons du Seigneur : on ne perd pas Valère, évêque de l’Église d’Hippone, et on a Augustin pour son coadjuteur. Et ce saint vieillard, dont nulle marque de jalousie n’atteignit jamais le cœur si pur, a recueilli du ciel les fruits les plus dignes de la paix de son cœur, en méritant d’avoir pour collègue celui qu’il avait simplement désiré pour successeur. Aurait-on pu le croire avant que cela fût arrivé ? Et ne peut-on pas appliquer à cette œuvre du Tout-Puissant cette parole évangélique : « Ces choses sont difficiles aux hommes, mais tout est possible à Dieu[3] ? » C’est pourquoi réjouissons-nous en Celui qui seul accomplit des merveilles et qui fait habiter dans la même maison ceux qui n’ont qu’une même âme, parce qu’il a regardé notre humilité et visité avec bonté son peuple : il a suscité une force dans la maison de David, son serviteur, et il a exalté la puissance de son Église dans la personne de ses élus pour briser les cornes des pécheurs, selon les paroles du Prophète, c’est-à-dire les cornes des donatistes et des manichéens.

3. Plût à Dieu que cette trompette du Seigneur, qui retentit maintenant par la bouche d’Augustin, fût entendue de notre fils Licentius, mais entendue de cette oreille intérieure par où entre le Christ, et d’où l’ennemi ne ravit point la semence de Dieu ! Ce serait alors qu’Augustin paraîtrait à lui-même un grand pontife du Christ, car il se sentirait exaucé d’en-haut en enfantant dans le Christ un fils digne de lui, comme il a enfanté dans les lettres un fils digne de vous ! Il nous a écrit à son sujet avec la plus vive sollicitude, croyez-le. Espérons de la toute-puissance du Christ que les vœux spirituels d’Augustin l’emporteront sur les vœux charnels de notre adolescent. Croyez-moi, il sera vaincu malgré lui ; il sera vaincu par la foi de son pieux maître : quelle mauvaise victoire que la sienne s’il aimait mieux triompher pour sa perte que d’être vaincu pour son salut ! Ne voulant pas que nos devoirs de fraternelle affection paraissent vides, nous vous envoyons cinq pains, à vous et à notre fils Licentius : c’est le pain de munition de l’expédition chrétienne, dans laquelle nous sommes enrôlés pour arriver à une provision de tempérance. Nous n’avons pas pu séparer Licentius de cette bénédiction, lui que nous désirons voir uni à nous dans la même grâce. Mais nous nous adresserons à lui-même en peu de mots, de peur qu’il ne refuse de prendre pour lui ce qui vous est écrit sur son compte. Ce que Mition entend est dit aussi à Eschine[4]. Mais pourquoi recourir aux étrangers, quand nous pouvons tout dire avec notre propre fonds et que l’emploi du langage d’autrui n’est pas dans les habitudes d’une tête saine[5] ? Or, par la grâce de Dieu, nous avons la tête saine, nous dont le Christ est le chef. Que bien longtemps nous vous conservions dans le Christ sain et sauf et toujours heureux avec toute votre maison, ô très-honorable et très-désirable seigneur notre frère !

(La suite de la lettre est adressée à Licentius.)


4. « Écoutez donc, mon fils[6], la loi de votre « père, » c’est-à-dire la foi d’Augustin, et ne repoussez pas les conseils de votre mère, car Augustin, dans sa tendresse pour vous, revendique

  1. Psa. XI, 8
  2. Psa. LXVII, 36
  3. Luc, XVIII, 27
  4. Ce sont deux personnages de Térence.
  5. Il y a dans le latin un jeu de mots que le français ne peut rendre, Aliena loqui s’entend d’un langage insensé aussi bien que du langage d’autrui.
  6. Prov. I, 8