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qu’il ne devait pas ; et si Paul avait déjà fait quelque chose de pareil, je croirai plutôt que, s’étant amendé lui-même, il n’avait pas pu négliger de reprendre son collègue dans l’apostolat, que je ne croirai à un mensonge dans son Épître, dans quelque épître que ce soit, et surtout dans celle qui commence par ces mots : « Je prends Dieu à témoin que je ne mens pas dans ce que je vous écris[1]. »

8. Pour moi je crois que Pierre avait agi ainsi pour forcer les juifs à judaïser ; car je lis que Paul l’a écrit, et je ne crois pas qu’il ait menti. Aussi, Pierre ne faisait pas bien. Il était en effet contraire à la vérité de l’Évangile de faire croire aux chrétiens qu’ils ne pouvaient pas se sauver sans les cérémonies de l’ancienne loi ; et c’est ce que prétendaient à Antioche ceux d’entre les juifs qui croyaient au Christ, et Paul combattit contre eux avec persévérance et vivacité. Si Paul a fait circoncire Timothée[2], s’il s’est acquitté d’un vœu à Cenchrée[3] ; si, averti par Jacques à Jérusalem, il a pratiqué les cérémonies de la loi avec des gens qui le connaissaient[4], ce n’était pas pour montrer que le salut des chrétiens pouvait s’opérer par ces cérémonies, mais pour ne pas faire condamner comme une idolâtrie païenne ces prescriptions d’origine divine qui convenaient aux temps anciens et figuraient les choses à venir. D’après ce qu’avait dit Jacques, on croyait que Paul enseignait qu’il fallait se séparer de Moïse[5]. Or, il n’est pas permis à ceux qui croient en Jésus-Christ de se séparer d’un prophète de Jésus-Christ, et de détester ou de condamner la doctrine de celui dont le Christ lui-même a dit : « Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez à moi, car c’est de moi qu’il a écrit[6]. »

9. Soyez attentif, je vous prie, aux paroles mêmes de Jacques : « Vous voyez, mon frère, dit-il à Paul, combien de milliers d’hommes dans la Judée ont cru en Jésus-Christ, et tous ceux-là sont zélés pour la loi. Or, ils ont ouï-dire de vous que vous enseignez à tous les juifs, qui sont parmi les gentils, de se séparer de Moïse en disant qu’ils ne doivent pas circoncire leurs fils, ni marcher selon la coutume. Que faire donc ? Il faut les assembler tous, car ils ont entendu dire que vous êtes arrivé. Faites donc ce que nous allons vous dire. Nous avons ici quatre hommes qui ont fait un vœu ; prenez-les, purifiez-vous avec eux, et faites-leur raser la tête à vos frais ; et tous sauront que ce qu’ils ont entendu sur vous est faux, et que vous continuez à observer la loi. Pour ce qui est des gentils qui ont cru, nous leur avons mandé qu’ils n’observeraient rien de semblable, mais qu’ils s’abstiendraient seulement de viandes immolées aux idoles, du sang et de la fornication[7]. » Il est clair, ce me semble, que Jacques conseilla cela pour démentir ce qu’avaient entendu dire de Paul ceux d’entre les juifs qui croyaient en Jésus-Christ et cependant restaient zélés pour la loi, et pour qu’ils ne regardassent pas comme sacrilège, à cause de la doctrine du Christ, et comme écrite sans l’ordre de Dieu, la loi que Moïse avait donnée à leurs pères. Ces bruits sur Paul provenaient non pas de ceux qui comprenaient dans quel esprit les juifs devenus chrétiens devaient désormais pratiquer les anciennes cérémonies, c’est-à-dire pour rendre hommage à leur divine autorité et à leur sainteté prophétique, et non pour en obtenir le salut qui se manifestait dans le Christ et se conférait par le sacrement du baptême ; mais ces bruits étaient répandus par ceux qui prétendaient que, sans l’observation des anciennes cérémonies, l’Évangile ne suffisait pas pour le salut. Ils savaient en effet que Paul était un ardent prédicateur de la grâce et très-opposé à leurs intentions ; qu’il enseignait que l’homme n’était pas justifié par les observations légales, mais par la grâce de Jésus-Christ, dont l’ancienne loi ne retraçait qu’une ombre ; et voilà pourquoi, voulant exciter contre lui la haine et la persécution, ils l’accusèrent d’être l’ennemi de la loi et des divins commandements. Paul ne pouvait mieux échapper à ces inculpations menteuses qu’en observant ce qu’on l’accusait de condamner comme sacrilège : par là il montrait qu’il ne fallait ni interdire aux juifs comme criminelles les anciennes cérémonies, ni forcer les juifs à les pratiquer comme nécessaires.

10. Car s’il les avait réprouvées, ainsi qu’on le prétendait, et qu’il les eût cependant pratiquées afin de cacher son sentiment sous une action simulée, Jacques ne lui aurait pas dit : « Et tous sauront, » mais il aurait dit : « Et tous penseront que ce qu’ils ont ouï dire de vous est faux ; » surtout parce que les apôtres avaient déjà ordonné dans Jérusalem même qu’on n’obligerait pas les gentils à judaïser[8] ; mais

  1. Gal. I, 20.
  2. Act. XVI, 3.
  3. Ibid. XVIII, 18.
  4. Ibid. XXI, 26.
  5. Ibid. 2.
  6. Jean, V, 46.
  7. Act. XXI, 20-25.
  8. Act. XV, 28.