Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/114

Cette page n’a pas encore été corrigée

notre néant et notre peine, et qu’il nous pardonne tous nos péchés.

2. Je désire m’entretenir avec vous, si vous le permettez, comme je pourrais le faire si j’étais devant vous. Vous avez répondu avec un esprit tout à fait chrétien et avec piété à une petite question que je vous ai récemment proposée comme si vous étiez là et que j’eusse joui de la douceur de vos entretiens ; mais vous y avez répondu en courant et trop brièvement ; vous auriez pu y laisser couler un peu plus longtemps et plus abondamment la grâce de votre parole, si vous aviez expliqué un peu plus clairement ce que vous avez dit, savoir que vous êtes décidé à rester dans le lieu où vous trouvez tant d’avantages, mais à condition que s’il plaît au Seigneur de vous demander autre chose, vous préférerez sa volonté à la vôtre. Comment pouvons-nous connaître cette divine volonté toujours préférable à la nôtre ? Est-ce seulement lorsque nous devons faire volontairement ce à quoi il a fallu nous déterminer malgré nos répugnances ? Là se fait ce que nous ne voulons pas, mais nous redressons notre volonté pour la conformer à celle de Dieu, dont il n’est pas permis de mépriser l’excellence ni d’éviter la toute-puissance ; c’est ainsi qu’un autre ceignit Pierre et le porta où il n’avait pas voulu[1], et Pierre alla où il ne voulait pas, mais ce fut volontairement qu’il souffrit une mort cruelle. La divine volonté se manifeste-t-elle aussi dans le cas où nous pourrions ne pas changer de résolution s’il ne se présentait quelque chose qui semble indiquer que cette même volonté nous convie à un autre sentiment ? Notre résolution n’était pas mauvaise ; on aurait pu fort bien s’y tenir, si Dieu ne nous avait pas appelés à un autre dessein. Ce ne fut pas mal à Abraham de nourrir et d’élever son fils pour le garder, autant qu’il pourrait, jusqu’à la fin de sa vie ; mais ayant reçu l’ordre de l’immoler, il changea sans hésiter une résolution qui n’était pas mauvaise en elle-même, mais qui le serait devenue s’il ne l’eût point changée après en avoir reçu l’ordre[2]. Aussi je ne doute pas que ce soit là aussi votre avis.

3. Mais nous sommes souvent forcés de reconnaître une volonté de Dieu, différente de la nôtre, non point par une voix du ciel, par un prophète, par les révélations d’un songé ou par cet élan de l’âme qui s’appelle extase, mais par les choses mêmes qui arrivent. Ainsi, nous avions décidé un départ, et une affaire est survenue, que la vérité consultée sur notre devoir, nous défend d’abandonner ; nous avions le dessein de demeurer en tel endroit, et la même vérité également consultée nous oblige d’en partir. Je vous demande de me dire pleinement et au long ce que vous pensez de cette troisième sorte de motifs de changer de résolution. Tous en sommes souvent troublés, et, il est difficile de ne pas omettre ce qu’il faudrait faire de préférence, lorsque l’on veut poursuivre un premier dessein qui n’est pas un vrai mal, mais qui devient un mal si on laisse l’action imprévue dont il aurait mieux valu s’occuper, et sans laquelle on eût pu continuer l’œuvre première, non-seulement sans blâme, mais encore avec louange. Il est difficile de ne pas se tromper ici ; c’est ici surtout, qu’il faut se rappeler cette parole du Prophète : « Qui connaît ses fautes[3] ? » Je vous prie donc de me dire ce que vous avez coutume de faire à ce sujet ou ce que vous trouvez qu’on doive faire.

LETTRE LXXXI.

(Année 405.)
Témoignage pacifique et affectueux de saint Jérôme.
JÉRÔME AU SEIGNEUR VRAIMENT SAINT, AU BIENHEUREUX PAPE AUGUSTIN, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

J’ai demandé avec empressement de vos nouvelles à notre saint frère Firmus, et j’ai appris avec joie que vous vous portiez bien. J’espérais, j’avais même le droit d’attendre de vos lettres ; mais il m’a dit qu’il était parti d’Afrique sans que vous l’eussiez su. Je vous rends, par lui, mes devoirs ; il vous aime d’un grand amour ; je vous prie, en même temps, de me pardonner de n’avoir pu refuser une réponse à vos instances répétées : j’en rougis. Mais ce n’est pas moi qui vous ai répondu, c’est ma cause qui a répondu à la vôtre. Et si c’est une faute de l’avoir fait, souffrez que je vous le dise, c’en est une plus grande de m’y avoir provoqué. Mais plus de plaintes de ce genre ; qu’une fraternité pure s’établisse entre nous ; et, désormais, ne nous envoyons plus de lettres de polémique, mais des lettres d’amitié. Les saints frères qui servent le Seigneur avec nous, vous saluent affectueusement. Je vous prie de saluer respectueusement, de ma part, les saints qui portent, avec vous, le joug léger du Christ, surtout le saint et vénérable pape Alype. Que le Christ notre Dieu tout-puissant, vous maintienne en bonne santé et

  1. Jean, XXI, 18
  2. Gen. XXII, 2, 10
  3. Ps. XVIII, 13