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ceux qui évangélisent pour qu’ils aient une grande puissance[1]. « Je ne doute pas que vous ne priiez aussi pour que la vérité triomphe dans nos contestations ; car vous ne cherchez pas votre gloire, mais celle du Christ, et quand vous vaincrez, je vaincrai également si je comprends mon erreur ; si je triomphe au contraire, c’est vous qui triompherez, parce que ce ne sont pas les fils qui thésaurisent pour les pères, mais les pères pour les fils[2]. Et nous lisons dans le livre des Paralipoménes que les enfants d’Israël montaient au combat avec un cœur pacifique[3], ne cherchant point leur victoire, mais celle de la paix, au milieu des glaives et du sang répandu, et à travers les cadavres des soldats tombés. Répondons à tous, et, si Dieu le veut, donnons en peu de mots la solution de vos nombreuses questions. Je passe les politesses avec lesquelles vous me caressez ; je me tais sur les douceurs avec lesquelles vous vous efforcez de me consoler de vos censures : je viens aux choses mêmes.
3. Vous dites que vous avez reçu d’un de nos frères un livre de moi sans titre, dans lequel j’énumère les écrivains ecclésiastiques tant grecs que latins ; vous dites que, lui ayant demandé (ce sont vos expressions), pourquoi il n’y avait pas de titre à la première page, et comment s’appelait l’ouvrage, il a répondu qu’il s’appelait Épitaphe. Ce titre, selon vous, serait bien choisi si le livre ne renfermait que la vie et les écrits d’auteurs morts ; mais comme on y fait mention d’ouvrages de beaucoup d’écrivains qui vivaient à l’époque où il fut composé et qui vivent encore, vous vous étonnez que je lui aie donné ce titre[4]. J’aurais cru que votre sagesse aurait pu comprendre le titre par l’ouvrage lui-même, car vous avez vu que les Grecs et les Latins qui ont écrit les vies des hommes illustres n’ont jamais appelé leur livre : Epitaphe, mais : Des hommes illustres ; par exemple, des généraux, des philosophes, des orateurs, des historiens, des poètes épiques, tragiques, comiques. On n’écrit l’épitaphe que des morts : c’est ce que je me rappelle avoir fait autrefois à la mort du prêtre Népotien, de sainte mémoire. Mon livre doit donc être appelé : Des hommes illustres, ou proprement des Écrivains ecclésiastiques, quoique beaucoup d’ignorants correcteurs l’aient intitulé, dit-on : Des auteurs.
4. En second lieu vous demandez pourquoi j’ai dit, dans les commentaires de l’Épître aux Galates, que Paul n’avait pas pu reprendre dans Pierre ce qu’il avait fait lui-même[5], ni blâmer dans un autre la dissimulation dont il était lui-même coupable ; et vous soutenez que la réprimande de l’Apôtre ne fut point une feinte, mais qu’elle fut vraie, que, je ne devrais pas enseigner le mensonge, et que tout ce qui est écrit dans nos saints livres doit être entendu comme c’est écrit[6]. À ceci je réponds d’abord que votre sagesse aurait pu se souvenir de la petite préface de mes commentaires, où je dis : « Quoi donc ? suis-je insensé et téméraire de promettre ce que n’a pas pu faire celui-là ? pas du tout ; je suis au contraire plus réservé et plus timide, car, sentant ma propre faiblesse, j’ai suivi les commentaires d’Origène. Cet homme a écrit sur l’Épître aux Galates cinq volumes et a rempli le dixième livre de ses Stromates d’une explication abrégée de cette épître ; il en a composé aussi divers traités, et des extraits qui seuls pourraient suffire. Je passe sous silence Didyme mon voyant, Apollinaire de Laodicée récemment sorti de l’Église, le vieil hérétique Alexandre, Eusèbe d’Emèse et Théodore d’Héraclée, qui nous ont aussi laissé quelques petits commentaires sur cette Épître. Si de tout ceci je faisais même de courts extraits, on aurait quelque chose qui ne serait pas tout à fait à mépriser. Pour l’avouer franchement, j’ai lu tous ces travaux, et, amassant beaucoup de choses dans mon esprit, j’ai dicté à un secrétaire ce qui venait de moi, ce qui venait d’autrui, sans me souvenir de l’ordre ni toujours des paroles et du sens. Fasse la miséricorde de Dieu que ce que d’autres ont bien dit ne soit pas perdu par mon ignorance, et que ce qui plaît dans leur langue ne déplaise pas dans la langue d’un étranger ! » Si donc quelque chose vous semblait répréhensible dans mon interprétation, votre érudition aurait dû chercher si ce que j’ai écrit se trouvait dans les auteurs grecs, afin que, à leur défaut, vous pussiez condamner mon sentiment particulier ; d’autant plus que dans la préface, j’ai avoué que j’ai suivi les commentaires d’Origène, que j’ai dicté mes pensées et celles des autres, et qu’à la fin de ce même chapitre que vous critiquez, j’ai écrit ces mots : « Si quelqu’un n’est pas de mon avis quand je montre Pierre n’ayant pas péché et Paul n’ayant pas repris durement un plus grand que lui, il doit m’expliquer comment Paul blâme dans un autre ce qu’il a fait lui-même. » J’ai fait voir par là que je ne défendais pas ce que j’avais lu dans les auteurs grecs, mais que je n’avais fait que le répéter, afin de laisser au jugement du lecteur la libre appréciation de cette opinion.
5. Vous donc, pour ne pas faire ce que je demandais, vous avez trouvé un nouveau raisonnement ; vous soutenez que les gentils qui ont cru en Jésus-Christ étaient libres du poids de la loi, mais que ceux des juifs qui ont cru étaient soumis à la loi ; de sorte que Paul, comme docteur des gentils, avait raison, selon vous, de reprendre ceux qui gardaient la loi, et que Pierre, le chef de la circoncision[7], fut justement repris pour avoir commandé aux gentils ce que les juifs seuls devaient observer[8]. Si vous êtes d’avis ou plutôt puisque vous êtes d’avis que tout juif qui croit demeure soumis aux pratiques de la loi, vous devez, vous, évêque connu dans le monde entier, publier cette opinion et chercher à la faire accepter par tous les évêques. Pour moi, dans ma pauvre petite cabane, avec des moines, c’est-à-dire avec des pécheurs comme moi, je n’ose décider sur les grandes choses ; j’avoue seulement, et bien ingénument, que je lis les écrits des anciens, et que,

  1. Ps. LVII, 12.
  2. II Cor. XII, 14.
  3. I Paralip. XII, 17, 18.
  4. Ci-dessus, Lett. XLII, 2.
  5. Galat. lit II.
  6. Ci-dessus, lett, XL., 3.
  7. Galat. II, 8.
  8. Ci-dessus, lett. XL, 4.