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ferait aisément connaître les chrétiens selon l’esprit et les esclaves du ventre. Toutes ces choses étant lues, le discours finit.

11. Après midi la multitude se pressa plus considérable qu’avant, et jusqu’à l’heure où nous arrivâmes avec l’évêque, on avait lu et psalmodié tour à tour ; deux psaumes furent lus après que nous eûmes pris place. Puis, lorsque je hâtais de mes vœux la fin de cette périlleuse journée, le saint vieillard m’obligea et m’ordonna de parler encore. Mon discours fut court ; il n’y avait plus que des grâces à rendre à Dieu. Et comme nous entendions dans la basilique des hérétiques le bruit des festins accoutumés, et qu’ils les prolongeaient en buvant pendant que nous étions là, je dis que, de même que le jour était plus beau par la comparaison avec la nuit, et le blanc plus agréable par le voisinage du noir, de même notre assemblée pour une fête spirituelle eût été peut-être moins douce s’il n’y avait pas eu d’un autre côté une réunion charnelle pour manger et boire ; je les engageai à souhaiter ardemment de tels festins s’ils avaient goûté combien le Seigneur est doux ; j’ajoutai que ceux-là doivent trembler qui cherchent d’abord ce qui est destiné à périr un jour, que chacun demeure associé à l’objet de son culte, et que les reproches de l’Apôtre sont tombés sur ceux qui ont fait de leur ventre leur Dieu[1] ; le même apôtre a dit dans un autre endroit : « Les viandes sont pour le ventre, et le ventre est pour les viandes ; mais Dieu détruira l’un et l’autre[2] » Il faut donc nous attachera ce qui ne périra pas, à ce qui est bien éloigné de l’affection de la chair et n’est possédé que par un esprit pur. Lorsque j’eus développé cette pensée, selon le besoin du moment et les inspirations qu’il plut au Seigneur de m’accorder, on dit l’office du soir comme tous les jours, et, après q1. ue nous nous fûmes retirés avec l’évêque, nos frères dirent encore une hymne avant de sortir : une assez grande multitude resta dans l’église, psalmodiant jusqu’à la Nuit.

12. Je viens de vous raconter, aussi brièvement que j’ai pu, ce que sans aucun doute vous désiriez savoir. Priez Dieu qu’il daigne détourner de nos entreprises tous les scandales et tous les dégoûts Nous nous sentons reposés avec vous et notre ferveur est consolée quand nous apprenons les fréquentes faveurs répandues



sur l’église de Thagaste. Le navire n’est point encore de retour avec nos frères. A Hasna, où l’on a pour prêtre notre frère Argentins, les Circoncellions ont fait invasion dans notre basilique et brisé l’autel. L’affaire s’instruit. Nous vous demandons beaucoup de prier pour qu’elle se poursuive paisiblement et comme il convient à l’église catholique, afin d’imposer silence à l’hérésie, qui ne veut. pas demeurer en paix. J’ai envoyé la lettre à l’asiarque[3]. Bienheureux frères, persévérez dans le Seigneur, et souvenez-vous de nous. Ainsi soit-il.

LETTRE XXX.

(Année 395.)

Les lettres de saint Paulin se distinguent par le sentiment et par l’élévation spirituelle ; son âme touchait en quelque sorte celle de saint Augustin ; c’est un des côtés par où saint Paulin nous plaît le plus ; ce tendre spiritualisme se retrouve tout entier dans la lettre qui suit.

PAULIN ET THÉRASIE, PÉCHEURS, A LEUR SAINT ET CHER FRÈRE AUGUSTIN.

1. Mon cher frère en Notre-Seigneur Jésus-Christ, il y a longtemps que, sans que vous le sachiez, je vous connais par vos saints et pieux travaux, et que, vous ayant vu malgré votre absence, je vous ai embrassé de tout cœur ; je me suis même hâté de vous entretenir par lettres dans un commerce familier et fraternel ; et j’espère que, par la grâce de Dieu, ce que je vous ai écrit vous sera parvenu. Mais le messager que nous vous avons envoyé avant l’hiver pour vous saluer, vous et d’autres p amis de Dieu, n’étant point encore de retour, nous, n’avons pu tarder davantage à vous offrir nos devoirs, ni modérer notre violent désir de recevoir de vos lettres. Si notre précédente a mérité d’arriver jusqu’à vous, celle-ci sera la seconde : elle sera la première si l’autre n’a pas eu le bonheur de parvenir dans vos mains.

2. Mais vous, frère spirituel, vous qui jugez de tout, ne jugez pas de notre affection par le seul accomplissement d’un devoir et, par la date de notre lettre. Car le Seigneur nous est témoin, lui qui seul et partout répand sa charité dans les siens, que, depuis le jour où, grâce aux vénérables évêques Aurèle et Alype, nous vous connûmes par vos ouvrages contre les Manichéens, nous éprouvâmes pour vous une amitié si vive, qu’elle ne nous parut point quelque chose de nouveau, mais comme le réveil d’un sentiment ancien. Si notre langage est inhabile, notre cœur ne l’est point ; nous vous reconnaissons en quelque sorte après vous avoir déjà vu par les lumières de l’esprit et

  1. Philip. III, 19.
  2. I Cor. VI, 13.
  3. On sait que l’asiarque, chez les anciens, était à la fois prêtre et magistrat, chargé de présider aux jeux sacrés et aux spectacles.