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boire et y manger ? Ou bien méprisez-vous l’Église de Dieu[1] ? » J’eus soin de faire remarquer que même des festins honnêtes et sobres ne devaient pas avoir lieu dans une église, car l’Apôtre n’a pas dit : N’avez-vous pas vos maisons pour vous y enivrer ? comme pour marquer que l’ivrognerie n’est interdite que dans une église ; mais il a dit : N’avez-vous pas vos maisons pour y manger et y boire, ce que peuvent faire honnêtement, mais hors d’une église, ceux qui ont des maisons, afin de se restaurer par une nourriture nécessaire. Et cependant la corruption des temps et la chute des mœurs nous ont amenés au point de ne pas souhaiter encore la sobriété dans les maisons, mais de souhaiter que l’ivrognerie ne soit que là.

6. Je citai aussi le passage de l’Évangile sur lequel j’avais parlé la veille, où il est dit des faux prophètes : « Vous les reconnaîtrez par leurs fruits[2]. » Je rappelai à mes auditeurs que les fruits dont il est ici question, ce sont les œuvres ; et alors je cherchai parmi quels fruits l’ivrognerie était nommée, et je lus ce passage de l’Épître aux Galates : « Il est aisé de connaître les œuvres de la chair, qui sont la fornication, l’impureté, l’impudicité, la luxure, l’idolâtrie, les empoisonnements, les inimitiés, les dissensions, les jalousies, les colères, les divisions, les hérésies, les envies, les meurtres, les ivrogneries, les débauches et autres choses semblables : je vous annonce, comme je l’ai déjà fait, que ceux qui commettent  ces crimes n’obtiendront pas le royaume de Dieu[3]. » Et je demandai, puisque le Seigneur a ordonné que les chrétiens se fissent reconnaître à leurs fruits, comment on reconnaîtrait des chrétiens au fruit de l’ivrognerie. Reprenant le livre, je lus encore ce qui suit : « Les fruits de l’esprit sont la charité, la joie, la paix, la patience, l’humanité, la bonté, la douceur, la foi, la continence[4]. » Je fis voir à mes auditeurs combien il était honteux et déplorable, no seulement qu’ils vécussent de ces fruits de la chair dans leurs actes particuliers, mais même qu’ils voulussent les tourner à honneur pour l’Église, et remplir, s’ils pouvaient, l’étendue entière de cette grande basilique d’une foule de gens mangeant et buvant ; et quant à ces fruits spirituels que les divines Écritures leur demandent et auxquels nos gémissements les convient, ils ne veulent pas les apporter à Dieu comme des présents avec lesquels, surtout, on doit célébrer les fêtes des saints.

7. Ceci achevé, je rendis le livre et je commandai la prière ; ensuite, autant que je pus, autant que la circonstance l’exigeait et que le Seigneur daignait m’en donner la force, je mis devant les yeux le commun péril de ceux qui nous étaient confiés, et de nous-mêmes qui aurons à rendre compte de leurs âmes au prince des pasteurs ; je les conjurai, au nom de son humiliation, de ses insignes outrages, de ses soufflets, de ses crachats sur la face, de sa couronne d’épines, de sa croix et de son sang, d’avoir pitié de moi s’ils ne s’épargnaient pas eux-mêmes ; de songer à l’ineffable charité du vieux et vénérable Valère pour moi qu’il n’a pas craint de charger du dangereux emploi de leur prêcher les paroles de la vérité : il leur a dit souvent qu’il regardait mon arrivée au milieu d’eux comme une preuve que Dieu avait écouté ses prières ; ce n’est pas pour notre perte commune qu’il s’est réjoui de me voir arriver auprès de lui, ni pour me faire assister au spectacle de leur mort, mais c’est afin de marcher tous ensemble vers la vie éternelle. Je leur dis que je mettais ma certitude et ma confiance dans Celui qui ne sait pas mentir ; qui, par la bouche de son prophète, a annoncé Notre-Seigneur Jésus-Christ et nous a fait entendre ces paroles : « Si ses enfants abandonnent ma loi et ne marchent point selon mes préceptes, s’ils violent la justice de mes ordonnances et ne gardent point mes commandements, je visiterai leurs crimes avec la verge, et leurs iniquités avec les fléaux, mais je ne retirerai pas ma miséricorde[5]. » Je leur dis donc que je croyais en Celui qui avait ainsi parlé, et que, s’ils méprisaient ce qui venait de leur être lu et dit, il les visiterait avec la verge et les fléaux, plutôt que de permettre qu’ils fussent damnés avec ce monde. Cette fin de mon discours devint aussi forte et aussi pressante qu’il plut à Celui qui nous protège et nous gouverne, de me l’inspirer, selon la grandeur des intérêts et des périls dont il s’agissait. Je n’excitai point leurs larmes par les miennes ; mais, je l’avoue, tandis que je leur disais ces choses, les ayant vus pleurer, je ne pus retenir mes pleurs. Et comme nous pleurions en

  1. I Cor. XI, 20, 21 et 22.
  2. Matth. VII, 16.
  3. Gal. V, 19, 20, 21.
  4. Ibid. 22
  5. Psaume LXXXIII, 30, 31, 32, 33.