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LETTRES ÉCRITES AVANT L’ÉPISCOPAT.

travail des derniers commentateurs, si forts sur la langue et les locutions hébraïques, et qui non-seulement ne s’accordent pas dans leurs interprétations, mais encore ont laissé beaucoup de choses à découvrir et à mettre en lumière. Ou ces choses étaient obscures, ou bien elles ne l’étaient pas : dans le premier cas, vous aussi vous pourriez vous tromper ; dans le second, on ne croira pas qu’ils aient pu se tromper eux-mêmes. Je supplie votre charité de m’éclairer là-dessus.

3. J’ai lu des écrits, qu’on dit être de vous, sur les Épîtres de l’apôtre Paul ; il m’est tombé sous la main le passage de votre commentaire de l’Épître aux Galates, ou l’apôtre Pierre est repris d’une pernicieuse dissimulation. Je ne suis pas peu fâché, je l’avoue, de voir un homme comme vous, ou tout autre qui serait l’auteur de cet écrit, prendre fait et cause pour le mensonge, et cette peine durera jusqu’à ce que mes doutes sur la question soient éclaircis, si toutefois ils peuvent l’être. Rien ne me paraît plus dangereux que de croire qu’il puisse exister un mensonge dans les livres saints ; c’est-à-dire que les hommes dont Dieu s’est servi pour nous donner les Écritures aient menti en quoi que ce soit. Autre chose est de savoir si, en certaines circonstances, un homme de bien peut user de mensonge ; autre chose est de savoir s’il a fallu que l’écrivain des saints livres mentît : bien plus, ce n’est pas une tout autre question, mais il n’y a pas de question sur ce point. Lorsqu’il s’agit d’une telle autorité, il suffira d’admettre une seule fois quelque mensonge officieux pour qu’il ne reste rien des saintes Écritures ; toutes les fois qu’il se présente un précepte de pratique difficile ou un dogme peu croyable, on voudra y échapper en s’armant de la pernicieuse règle du mensonge officieux.

4. Si l’apôtre Paul mentait lorsque, blâmant l’apôtre Pierre, il disait : « Si vous qui êtes juif, vous vivez à la façon des Gentils et non à la façon des Juifs, comment forcez-vous les Gentils à judaïser[1] ; » si la conduite de Pierre lui paraissait bonne dans ce que ses paroles et ses écrits condamnaient, ne parlant ainsi que pour calmer les esprits, que répondrons-nous quand des hommes pervers, prédits par l’apôtre Paul lui-même[2], attaqueront le mariage, diront que les efforts de l’Apôtre pour en établir le droit sacré[3] n’ont été qu’un mensonge à l’adresse des hommes attachés à leurs femmes et qui auraient pu se révolter, et que l’Apôtre n’a pas parlé comme il pensait, mais uniquement pour apaiser une opposition ? Il n’est pas besoin de multiplier les exemples. Les louanges de Dieu peuvent elles-mêmes passer pour des mensonges officieux, destinés à allumer le divin amour dans les cœurs froids et languissants : c’est ainsi que la vérité n’aura plus d’autorité certaine dans les livres saints. Avec quelle sollicitude le même apôtre ne nous recommande-t-il pas la vérité ; lorsqu’il dit : « Si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine, et votre foi aussi ; nous ne sommes plus que de faux témoins de Dieu, parce que nous aurons rendu ce témoignage contre Dieu même, en disant qu’il a ressuscité le Christ qu’il n’a pas ressuscité[4]. » Si quelqu’un avait dit à Paul : Pourquoi ce mensonge vous inspire-t-il tant d’horreur, puisque, si ce que vous avez dit est faux, Dieu n’en reçoit pas moins une grande gloire ? – L’Apôtre n’aurait-il pas détesté la folie d’un tel langage ? n’aurait-il pas cherché, par toute parole possible, à mettre en lumière les plus profonds replis de son cœur, criant que ce n’est pas un moindre crime, mais un plus grand peut-être de louer Dieu par le mensonge que d’accuser la vérité ? Il faut donc que tout homme qui aspire à connaître les divines Écritures les juge si saintes et si vraies, qu’il ne se plaise jamais à y rencontrer des mensonges officieux, mais qu’il passe l’endroit comme ne le comprenant point, plutôt que de préférer son propre cœur à la vérité elle-même. Assurément, celui qui parle ainsi de ces mensonges officieux veut qu’on le croie, et il agit de façon à nous ôter toute croyance aux autorités des divines Écritures.

5. Et quant à moi, dans la mesure des forces que le Seigneur m’a données, je montrerais que tous ces témoignages pour établir l’utilité du mensonge doivent être compris d’une autre manière : leur ferme vérité serait prouvée. Ces témoignages ne doivent pas plus être menteurs que favorables au mensonge. Mais je laisse cela à votre intelligence. Une lecture plus attentive vous le fera voir peut-être mieux que je ne le vois moi-même. Votre piété remarquera que l’autorité des divines Écritures deviendrait incertaine, qu’on y croirait ce qu’on voudrait,

  1. Gal. II, 14.
  2. I Tim. IV, 3.
  3. I Cor. VII, 10,16
  4. Ibid. XV 10,16