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LETTRES ECRITES AVANT l'EPISCOPAT.

que votre sainteté a lu avec plaisir, comme vous me le marquez dans votre lettre ; le mérite de ce livre s’est accru de la recommandation de celui qui vous l’a envoyé. Gardez-vous de croire tout le bien que mon ami vous dira peut-être de moi. J’ai reconnu souvent que, sans vouloir mentir, mais par entraînement de cœur, il se trompait dans son jugement et qu’il me croyait en possession de certains dons qui me manquent, et pour lesquels mes prières et mes soupirs montent vers Dieu. Et s’il a pu dire cela devant moi, que ne se permettra-t-il pas lorsque, en mon absence, sa joie répandra plus de louanges que de vérités ? Dans son zèle admirable, il vous donnera tous mes ouvrages ; je ne sais pas s’il y a un seul de mes livres qu’il ne possède, soit contre ceux qui sont hors de l’Église de Dieu, soit à l’adresse de nos frères. Mais vous, mon cher saint Paulin, quand vous me lisez, que les choses que la Vérité fait entendre par ma faiblesse ne vous ravissent pas au point de prendre moins garde à ce que je dis moi-même, de peur que, pendant que vous jouissez de ce qu’elle a donné de bon et de juste à son ministre, vous n’imploriez pas la miséricorde de Dieu pour les péchés et les erreurs que je commets. Si vous y portez une attention sérieuse, c’est dans ce qui vous déplaira que je me reconnaîtrai ; mais pour ce qui vous plaira, à l’aide du don de l’Esprit-Saint que vous avez reçu, il faudra aimer et louer Celui-là seul qui est la source de vie et dans la lumière de qui nous verrons la lumière sans énigme, mais face à face, car maintenant nous voyons en énigme[1]. Lorsque relisant mes ouvrages, je reconnais ce que j’ai tiré du vieux levain, je me juge avec douleur ; et lorsque je rencontre ce que j’ai dit par le don de Dieu, après l’avoir puisé dans l’azyme de la sincérité et de la vérité, je me réjouis avec crainte. Qu’avons-nous que nous n’ayons reçu [2] ? On dit que celui-là est meilleur qui a reçu un plus grand don de Dieu. Qui le nie ? Mais aussi mieux vaut rendre grâces à Dieu d’un petit don, que de s’enorgueillir d’un plus grand. Priez pour moi, frère, afin que ce sentiment soit toujours le mien, et que mon cœur ne soit pas en désaccord avec ma langue. Priez, je vous le demande, pour que, repoussant toute louange, j’invoque le Seigneur en ne louant que lui seul : c’est alors que je serai sauvé de mes ennemis.

5. Il y a encore un motif qui doit vous faire aimer ce frère, c’est sa parenté avec le vénérable et vraiment saint Alype que vous aimez de tout cœur, et à bon droit, car en louant cet homme on ne fait que louer Dieu de sa grande miséricorde et de ses admirables faveurs.

En apprenant que vous désiriez connaître l’histoire de sa vie, il aurait voulu céder à vos vieux par affection pour vous, et ne l’aurait pas voulu par modestie ; en le voyant flotter entre l’amitié et la honte, j’ai pris son fardeau sur mes épaules : il me l’avait demandé dans une lettre. Avec l’aide de Dieu, je mettrai donc bientôt Alype dans vos entrailles ; et d’ailleurs j’aurais craint qu’il n’eût pas osé vous découvrir tout ce que le Seigneur a fait pour lui ; pour des esprits de peu de pénétration (car d’autres que vous auraient lu sa lettre), il eût semblé, non pas rendre hommage aux grâces divines accordées aux hommes, mais se vanter lui-même ; au milieu de ces convenables ménagements pour d’autres, vous, qui savez lire, vous auriez été privé de ce qui pouvait compléter une connaissance fraternelle. Je l’aurais déjà fait et vous l’auriez déjà lu[3], si ce frère n’avait pas voulu partir subitement. Je le recommande à votre cœur et à la confiante liberté de votre langage ; montrez-vous aussi bon pour lui que si vous le connaissiez, non pas d’à présent, mais d’ancienne date comme moi. S’il ose s’ouvrir à vous, vous le guérirez en tout ou en partie par vos discours. Je veux qu’il soit vaincu par le plus grand nombre possible de ceux qui n’aiment pas un ami à la façon du siècle.

6. Quand même Romanien ne serait pas allé vers vous, son fils, que j’aime comme s’il était le mien, et dont vous trouverez aussi le nom dans quelques-uns de mes livres, vous aurait porté des nouvelles de moi ; j’avais résolu de vous l’adresser pour qu’il reçût des consolations, des avis et des leçons, moins par le son de votre voix que par la force de votre exemple. Je souhaite ardemment que, tandis qu’il est encore dans la verte saison, son ivraie se change en froment, et qu’il croie à l’expérience de

  1. Ps. XXXV, 10 ; I Cor. XIII, 12.
  2. I Cor. IV, 7.
  3. Nous n’avons pas la lettre où saint Augustin donnait à saint Paulin les détails qu’il lui avait promis sur saint Alype et qu’il dut lui transmettre plus tard. Ils auraient été curieux et l’histoire les aurait précieusement recueillis.